Le lavage des gaz d’échappement des navires contribue-t-il à l’acidification du sud de la mer du Nord ?

Les oxydes de soufre (SOx) présents dans les émissions atmosphériques des navires provenant de la combustion de carburants sont connus pour être nocifs pour la santé des hommes et des écosystèmes. Depuis le 1er janvier 2020, l’Organisation maritime internationale (OMI) a encore abaissé la limite de soufre pour le combustible marin, ce qui a entraîné une augmentation du nombre de systèmes d’épuration des gaz d’échappement (épurateurs ou laveurs) à bord des navires. Ces systèmes réduisent la teneur en soufre de l’air, mais certains rejettent les SOx directement dans l’eau. Ils contribuent ici à l’acidification des océans et peuvent causer des problèmes pour toute une série d’organismes marins. L’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique a utilisé un modèle biogéochimique pour quantifier l’impact potentiel dans le sud de la mer du Nord. Les résultats ont montré que les changements les plus importants se produisent dans les zones à forte densité de trafic, comme le long des côtes belges et néerlandaises et à proximité des grands ports. Dans ces zones, les changements sont suffisamment importants pour contribuer à la dégradation de l’environnement et à la perte de potentiel économique.

Les eaux belges sont caractérisées par un trafic maritime très dense. L’image montre les navires ancrés dans la zone de mouillage, attendant l’accès à un port voisin (©IRSNB/UGMM).

Les oxydes de soufre (SOx) présents dans les émissions de gaz des navires, qui résultent de la combustion de carburant, sont connus pour provoquer des problèmes respiratoires, augmenter les pluies acides et contribuer à l’acidification des océans. En tant que tels, ils sont nocifs pour la santé des humains et de l’écosystème. Pour résoudre ce problème, l’Organisation maritime internationale (OMI) a abaissé la limite de soufre pour les combustibles marins à 0,5 % à partir du 1er janvier 2020 (qui était à 4,5 % en 2005-2011 et à 3,5 % en 2012-2019). Les eaux belges, avec leur navigation intensive, font partie de la “zone de contrôle des émissions de soufre de la mer du Nord” dans laquelle les règles sont encore plus strictes. Dans cette zone, la concentration de soufre dans le carburant ne peut pas dépasser 0,1 %. Pour se conformer à la réglementation, il est permis d’utiliser du combustible à faible teneur en soufre ou de recourir à d’autres méthodes qui permettent de réduire les émissions de SOx en continuant à utiliser du combustible à haute teneur en soufre.

Épurateurs

En raison de la différence de prix entre les combustibles à haute et à basse teneur en soufre, l’installation de systèmes d’épuration des gaz d’échappement, appelés « épurateurs » ou « laveurs », est économiquement plus avantageuse que la réduction de la teneur en soufre du combustible (dans des conditions économiques normales). Par conséquent, les nouvelles réglementations conduisent à l’installation d’épurateurs sur un plus grand nombre de navires. Les épurateurs sont des appareils qui « lavent » les gaz d’échappement des navires et en retirent certaines particules ou certains gaz, en l’occurrence les oxydes de soufre. L’eau de lavage qui en résulte peut être collectée à bord (épurateurs en boucle fermée) ou rejetée en pleine mer (épurateurs en boucle ouverte), tandis que les épurateurs hybrides peuvent alterner entre les modes ouvert et fermé. Les épurateurs en boucle ouverte, moins chers, sont utilisés plus souvent que les épurateurs en boucle fermée, et déplacent ainsi les émissions de soufre de l’air vers l’eau.

Carte de densité du trafic maritime (carte adaptée à partir de marinetraffic.com), montrant les principales routes maritimes et le trafic très dense dans la zone d’étude (boîte noire).

Acidification des océans

Malgré l’effet positif des épurateurs sur la pollution atmosphérique, des questions se posent quant à leur impact potentiel sur l’environnement marin. Lorsque l’eau de lavage des épurateurs en boucle ouverte est rejetée à la mer, les SOx sont neutralisés par l’eau de mer. Ceci a pour conséquence une augmentation de l’acidité de l’eau de mer (un pH plus bas signifie une eau plus acide) et contribue ainsi à l’acidification de l’océan. Ce processus vient s’ajouter à l’acidification causée par l’absorption du CO2 atmosphérique due aux changements climatiques. Les effets négatifs de l’acidification des océans ont déjà été observés sur les organismes marins tels que les moules, les huîtres, les crevettes et même les poissons. Une eau plus acide peut mettre en danger la formation de coquilles et de squelettes et peut entraîner la dissolution des structures existantes. En outre, certaines études montrent des effets sur la capacité des poissons à sentir, entendre et voir, et sur leur fonctionnement cognitif général. Une eau plus acide peut également avoir un impact économique sur la pêche et l’aquaculture, car pour certaines espèces de crevettes et de moules, une perte de qualité a été démontrée en termes de goût, de texture, d’apparence et de propriétés nutritionnelles.

Situation dans le sud de la mer du Nord

À la demande du Service public fédéral Mobilité et Transports, l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique (IRSNB) a réalisé une étude à l’aide d’un modèle biogéochimique avancé pour quantifier l’impact potentiel des rejets de SOx provenant du trafic maritime sur l’acidification du sud de la mer du Nord. « Dans la Manche et le sud de la mer du Nord, les résultats montrent une diminution du pH entre 0,004 et 0,010 unité de pH (sur une échelle de seulement 14 unités) pour différents scénarios de trafic maritime », explique Valérie Dulière, auteure principal de l’étude. « Dans les zones à forte densité de trafic, telles que les voies de navigation le long des côtes belges et néerlandaises et à proximité des grands ports, la variation du pH peut être de 5 à 12 fois supérieure à la moyenne. Les changements modélisés indiquent un effet négatif potentiel sur la qualité de l’eau dans les ports, les estuaires et les eaux côtières », ajoute le Dr. Dulière.

Cartes avec les valeurs moyennes annuelles du pH telles qu’estimées par le modèle de l’étude de Dulière et al. (2020) pour différents scénarios de contribution du trafic maritime au SOx. Plus l’eau est rouge, plus elle est acide. La figure ci-dessus à gauche montre le scénario de référence sans contribution du trafic maritime au SOx, tandis que la figure ci-dessus à droite (2019_15%) montre la même densité de trafic, mais avec 15% de navires utilisant un épurateur en boucle ouverte. Les scénarios 2020 et 2030 supposent des densités de trafic prévues (dans des conditions économiques normales) pour 2020 et 2030, les scénarios 35 % et 0 % simulant ce qui se passe lorsque 35 % et 0 % de la flotte sont équipés d’épurateurs en boucle ouverte. Il en résulte quatre combinaisons (2020_35%, 2020_0%, 2030_35% et 2030_0%). Les simulations montrent qu’une augmentation du trafic maritime a moins d’impact sur l’acidification des océans (comparer 2020_0% et 2030_0% avec la référence) qu’une augmentation de l’utilisation des épurateurs en boucle ouverte (comparer 2019_15%, 2020_35% et 2030_35%) avec la référence. Une augmentation combinée du trafic maritime et de l’utilisation d’épurateurs en boucle ouverte a évidemment l’effet le plus important (comparer 2030_35% avec d’autres scénarios).

La baisse estimée du pH attribuée au secteur du transport maritime est également significative par rapport à l’acidification continue due aux changements climatiques (0,0017-0,0027 unités de pH par an). La contribution au changement de pH dû à la pollution par les SOx provenant du transport maritime avec des épurateurs ouverts est de 2 à 4 fois plus importante que la contribution due aux changements climatiques lorsqu’elle est calculée en moyenne sur l’ensemble de la zone étudiée, et jusqu’à 10 à 50 fois plus importante dans des zones plus locales. Les effets de l’acidification des océans provoquée par le trafic maritime devraient donc être pris en compte dans le suivi et la gestion des écosystèmes, au même titre que l’acidification due aux changements climatiques.

 

Le rapport complet de l’étude peut être consulté ici: Potential impact of wash water effluents from scrubbers on water acidification in the southern North Sea_Final report.

part1_Contexte scientifique et contexte de l’étude

part2_Méthodologie et hypothèses

part3_Résultats et conclusions

Sur la base des conclusions importantes de la modélisation, une approche de précaution est recommandée. La politique, la science et l’industrie continuent à travailler ensemble pour trouver des moyens de réduire l’impact des composés de soufre dans les émissions de gaz et les rejets d’eaux de lavage des navires.

 

Suite à cette étude, la crise COVID-19 a remodelé l’année 2020 de manière imprévue. On constate que l’estimation de la densité du trafic maritime pour l’année 2020, sur laquelle se basent les calculs pour estimer la quantité de SOx dans les émissions de gaz et les rejets d’eaux de lavage, est plus faible que prévue. Néanmoins, cette étude fournit encore des informations très utiles sur la manière dont l’utilisation d’épurateurs en boucle ouverte et hybrides (en mode ouvert) peut contribuer à l’acidification du sud de la mer du Nord, dans une situation économique normale. Il est également à noter que le climat économique défavorable actuel a entraîné l’annulation de nombreuses commandes d’épurateurs, et il est à espérer que les entreprises concernées envisageront de passer à l’utilisation de combustible à faible teneur en soufre lors de la reprise de leurs activités normales.

L’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique est également très impliqué dans la surveillance des oxydes de soufre dans les émissions de gaz des navires en mer. De plus amples informations sont disponibles sur le nouveau site web de l’équipe aérienne, dans la vidéo consacrée à la surveillance des émissions de soufre et dans le rapport annuel 2019.