Les émissions polluantes des navires dans l’air sont soumises à des normes strictes dans le monde entier. Ward Van Roy a analysé le potentiel et la valeur ajoutée de la surveillance aérienne pour contrôler les émissions nocives des navires dans le cadre d’une étude doctorale. À cette fin, il a utilisé les données recueillies par l’avion de surveillance aérienne belge1. Ses conclusions mettent en évidence les avantages opérationnels de la surveillance aérienne et fournissent des indications précieuses sur l’efficacité des réglementations internationales en matière d’amélioration de la qualité de l’air en mer du Nord. En outre, l’étude a mis en évidence des lacunes réglementaires et fournit des recommandations pour les combler. Ward Van Roy est rattaché à l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique (IRNB) et, le 28 septembre 2023, est devenu le tout premier docteur en sciences maritimes à obtenir ce diplôme à la faculté de droit et de criminologie de l’université de Gand. Une raison supplémentaire pour Ward, l’université et l’IRSNB d’être fiers.
Le transport maritime joue un rôle crucial en reliant les économies et les cultures du monde entier, mais il est aussi l’une des plus grandes sources de pollution atmosphérique. En effet, la combustion des carburants marins traditionnels génère des composés soufrés, des composés azotés et du « carbone noir », qui ont des effets néfastes sur la santé humaine et l’environnement.
Pour y remédier, des efforts internationaux ont été déployés pour élaborer des réglementations2 visant à réduire les émissions des navires dans l’atmosphère. Cependant, sans une mise en œuvre efficace, les réglementations risquent de rester lettre morte. C’est ce qui a poussé Ward Van Roy3 à décrire dans un doctorat dans quelle mesure la surveillance de l’air peut contribuer à l’élaboration d’une stratégie de suivi et d’application des règles relatives aux émissions dans le secteur du transport maritime.
La thèse de doctorat de Ward s’intitule « Application of remote measurements for compliance monitoring and enforcement of SO2 and NOx emissions under Marpol Annex VI » et a été défendue publiquement le 28 septembre 2023 à Gand, étape finale pour l’obtention du titre de docteur en sciences maritimes. La recherche a donné lieu à pas moins de cinq articles déjà publiés et trois soumis pour publication dans des revues scientifiques.
Méthode et tendances
La première partie de la thèse de doctorat présente la méthode scientifique de surveillance aérienne des émissions des navires. Le « capteur renifleur » intégré dans l’avion de surveillance belge joue un rôle central à cet égard. Grâce à la mise en œuvre de plusieurs innovations, Ward a également pu améliorer de manière significative la méthode de surveillance des oxydes de soufre (SOx) dans les émissions des navires. Un manuel complet, qui fait également partie de la thèse, garantit l’uniformité et la qualité des mesures et peut servir de guide pour la mise en place de programmes correspondants dans d’autres pays.
L’analyse des données obtenues montre non seulement que les réglementations internationales sur les émissions de dioxyde de soufre (SO2) et d’oxydes d’azote (NOx) peuvent être contrôlées efficacement à partir de l’air, mais aussi que les réglementations sur les émissions de SO2 sont relativement bien respectées, tant en Belgique que dans la zone de contrôle des émissions plus large englobant l’ensemble de la mer du Nord et de la mer Baltique.
Ward Van Roy : « On peut conclure que la surveillance aérienne a effectivement contribué à la réduction significative des émissions de SO2. En ce qui concerne les émissions de NOx, en revanche, il semble que la réduction des émissions visée n’ait pas encore été atteinte, ni en Belgique ni ailleurs. »
Les analyses ont utilisé des données provenant de la surveillance aérienne en Belgique ainsi que des données provenant de campagnes de mesure dans d’autres pays, de stations terrestres de surveillance de la qualité de l’air et de l’imagerie satellite.
Des résultats inattendus
L’étude de Ward a également mis en évidence des tendances inattendues.
Il a ainsi été démontré pour la première fois que les navires équipés de systèmes de post-traitement de leurs émissions dans l’air, connus sous le nom d’épurateurs, sont à l’origine d’une proportion nettement plus élevée d’infractions en matière d’émissions. Étant donné que les épurateurs ne sont installés que pour réduire les émissions de composants nocifs dans l’air, cette constatation va à l’encontre des attentes. De plus l’utilisation des épurateurs est en augmentation, pour atteindre déjà 30 % des navires observés en 2022. Si cette tendance se poursuit, combinée à l’augmentation actuelle du trafic maritime, les émissions de SO2 provenant du trafic maritime augmenteront encore et le secteur deviendra responsable d’une part plus importante des émissions totales de SO2.
Ward a également fait une observation remarquable concernant les NOx : « Mes recherches montrent que les émissions moyennes de NOx des navires construits plus récemment sont nettement plus élevées que celles des navires plus anciens, ce qui ne peut évidemment pas être le but recherché », indique-t-il. « De plus, j’ai constaté que les réglementations visant à réduire les émissions de NOx sont très lentes à prendre effet en raison de la manière dont ces réglementations internationales sont rédigées ». Si rien ne change, le secteur du transport maritime devrait être la principale source de NOx chez nous (en Flandre) d’ici 2025, et représenterait même 40 % de toutes les émissions de NOx d’ici 2030.
Valeur ajoutée et recommandations politiques
Dans sa thèse, Ward se penche également sur les aspects juridiques de la surveillance aérienne et sur la valeur ajoutée pour les différentes parties prenantes.
Tout d’abord, une valeur ajoutée importante pourrait être démontrée pour les services d’inspection portuaire. En identifiant les contrevenants potentiels en mer, les services d’inspection portuaire peuvent suivre les navires concernés de manière plus ciblée lorsqu’ils font escale dans un port, ce qui peut conduire à des sanctions le cas échéant. La surveillance aérienne semble donc avoir une influence positive sur le suivi et la sanction des infractions commises par les navires en matière d’émissions. Une analyse coût-bénéfice montre que la surveillance aérienne est également rentable sur le plan financier.
Les résultats belges profitent également à la coopération internationale et sont pris en compte dans les efforts visant à mettre en place une surveillance internationale efficace et harmonisée.
Sur la base de l’expérience acquise, Ward formule également un certain nombre de recommandations à l’attention des décideurs politiques, qui peuvent aider à contribuer efficacement sur le terrain à la réduction de la pollution de l’air due au transport maritime. Il s’agit notamment d’accroître la valeur juridique directe des mesures aériennes (qui doivent actuellement toujours être confirmées par le contrôle portuaire), d’obtenir un protocole internationalement accepté pour contrôler les violations de NOx en mer et un mécanisme d’application associé, et d’éliminer certaines lacunes réglementaires. Ces recommandations sont discutées au niveau international dans le cadre de l’accord de Bonn (coopération des États de la mer du Nord en matière de détection, de signalement et de lutte contre la pollution de la mer du Nord) et de l’Organisation maritime internationale (OMI), tandis qu’en Belgique, des solutions sont recherchées en collaboration avec la Direction générale navigation (SPF Mobilité et Transports), qui peuvent être intégrées dans les réglementations internationales par l’intermédiaire des décideurs politiques fédéraux.
Informations complémentaires
1 L’Unité de Gestion du Modèle Mathématique de la Mer du Nord (UGMM), Service Scientifique de l’Institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique (IRSNB), est responsable de la mise en oeuvre du programme belge de surveillance aérienne de la Mer du Nord. Pour ce faire, l’IRSNB possède un avion de type Britten Norman Islander équipé de capteurs scientifiques pour la détection de la pollution marine et collabore avec la Défense qui fournit les pilotes. Depuis 1990, ce programme donne des résultats significatifs. L’accent est mis ici sur trois groupes de tâches essentielles : 1) la surveillance de la pollution marine illégale et accidentelle, 2) la surveillance de l’environnement marin et 3) la surveillance maritime au sens large dans le cadre de la Garde côtière (l’avion porte donc l’inscription « Coast Guard » et est aussi largement connu sous le nom d’avion de la Garde côtière).
2 Les normes d’émission applicables au niveau mondial pour le soufre et l’azote sont décrites dans l’annexe VI de la convention internationale MARPOL (Convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires). En outre, la directive européenne sur le soufre impose également des restrictions sur les émissions de soufre des navires, et les émissions de composés soufrés et azotés sont encore plus strictement réglementées dans la très active « zone de contrôle des émissions de la mer du Nord et de la mer Baltique » (dont les eaux belges font également partie) qu’à l’extérieur de cette zone. Le carbone noir (une mesure de la concentration de suie en suspension dans l’air) provenant de la navigation n’est pas encore soumis à des restrictions internationales, mais ces émissions sont actuellement cartographiées afin d’alimenter le développement d’un cadre restrictif.
3 Ward Van Roy a obtenu son diplôme de bioingénieur à l’Université de Gand en 2008 et a ensuite rejoint l’équipe de surveillance aérienne de l’IRSNB (UGMM) en tant qu’opérateur. Il est également responsable de la gestion des instruments scientifiques et est considéré comme le cerveau de l’intégration de ce que l’on appelle le « capteur renifleur » dans l’avion de surveillance aérienne belge. Il est donc en partie responsable de la renommée internationale de l’équipe dans le domaine de la surveillance aérienne des émissions des navires. Ward a l’honneur d’être la toute première personne à obtenir le titre de « docteur en sciences maritimes » à l’université de Gand (faculté de droit et de criminologie).