Les similitudes entre la recherche scientifique en mer du Nord et dans l’océan Arctique sont frappantes ! Des scientifiques passionnés cherchent à comprendre la mer afin de se préparer au mieux aux changements que connaît le monde. Voici un petit compte-rendu des neuf jours passés à bord de l’Oceania, le navire de recherche océanographique polonais.
RV Belgica et RV Oceania
Tout comme la Belgique, la Pologne possède son propre navire de recherche. Le trois-mâts RV Oceania appartient à l’Institut polonais de recherche océanographique (IOPAN). Il a environ le même âge (°1985) et la même longueur (un peu moins de 50m) que notre RV Belgica. Le navire est principalement utilisé pour effectuer des recherches scientifiques en mer Baltique. Une fois par an, le navire met le cap sur le Grand Nord et les fjords de Spitzberg pour y étudier l’impact du changement climatique sur l’océan Arctique. Du mercredi 26 juillet au vendredi 4 août 2017, les 24 membres d’équipage et scientifiques polonais ont accueilli à bord une journaliste canadienne et la communicatrice scientifique belge Sigrid Maebe.
Le capitaine du RV Oceania, Piotr Woźniak, connaît bien notre RV Belgica. Dans les années 90, lors des festivités de la Force navale à Zeebrugge, son navire était amarré à côté du RV Belgica, et lors des célébrations du centième anniversaire de l’expédition scientifique de l’ancien Belgica, en 1997 à Anvers, il est également monté à bord de notre bateau de recherche. Les deux navires sont très similaires, mais comme l’Oceania est un voilier, il a une coque plus effilée et l’espace est donc réduit à l’intérieur.
Le RV Oceania est équipé de tout l’appareillage possible pour prélever des échantillons d’eau, des organismes peuplant la mer (plancton dans la colonne d’eau ou benthos dans les fonds marins), ou pour effectuer des mesures optiques de la couleur de la mer afin de déterminer les propriétés de l’eau. Du fait de l’espace restreint, les scientifiques polonais ne peuvent faire que prélever les échantillons et les congeler ou les fixer, ils n’ont pas la possibilité de les examiner à bord. De retour sur la terre ferme, il leur faudra entre six et douze mois pour analyser tous les échantillons de cette croisière.
Recherches dans le fjord d’Hornsund
Pour cette croisière scientifique ‘AREX’2017’ (Arctic Expedition 2017), le RV Oceania a quitté les côtes polonaises à la mi-juin pour rejoindre l’archipel du Spitzberg en longeant la Norvège. Fin août, soit 80 jours plus tard, il sera de retour en Pologne avec à son bord des centaines d’échantillons et de mesures. Le chiffre ‘30’ peint sur le flanc du navire à côté d’un ours polaire, sera alors modifié : le RV Oceania aura bouclé son 31ème périple au Spitzberg!
Je suis montée à bord du RV Oceania à Longyearbyen, la capitale de Spitzberg, pour une croisière scientifique de neuf jours vers le fjord d’Hornsund. Le but de cette partie du voyage était d’étudier jusqu’où l’influence de l’océan Atlantique se fait sentir dans ce fjord de la partie sud de l’île de Spitzberg. Le fjord d’Hornsund est le premier endroit où les eaux atlantiques méridionales pénètrent dans l’Arctique. Année après année, le scientifique en chef Sławomir Kwaśniewski voit l’eau de l’Atlantique s’avancer plus profondément dans le fjord et l’eau de mer se réchauffer. La population de plancton progresse elle aussi : des espèces atlantiques de copépodes, de méduses et de groseilles de mer sont de plus en plus souvent observées dans le fjord. C’est l’écosystème tout entier qui change sous l’effet de ces courants chauds. Les scientifiques sont donc très contents lorsqu’ils trouvent de vraies espèces arctiques dans leurs filets à plancton. Cette étude annuelle de l’institut IOPAN donne une longue chronologie de mesures et d’analyses indispensables pour comprendre les conséquences du changement climatique.
Station polaire
La Pologne possède également une station de recherche sur l’île de Spitzberg: la station polaire polonaise, elle aussi située dans le fjord d’Hornsund. C’est un endroit magique, mais il faut toujours se promener avec une arme à feu, car le risque de croiser un ours polaire (Ursus maritimus) en chemin est bien réel ! Pendant les mois d’été, une trentaine de scientifiques et de techniciens sont stationnés ici. Ils ne sont plus qu’une dizaine durant la sombre période hivernale. Ils sont là pour étudier le glacier qui borde la station. D’autre part, ils mesurent constamment les rayonnements magnétiques et les conditions météorologiques de la région et observent les conditions de vie et les comportements alimentaires de la colonie de mergules nains (Alle alle, un drôle de petit oiseau marin).
Les deux « paparazzi », comme on s’amusait à nous appeler, la journaliste et moi, ont pu mettre pied à terre un jour pour faire connaissance avec les scientifiques Danek et Kasia. Ce matin-là, ils contrôlaient les batteries des caméras installées à proximité des nids pour filmer comment les parents viennent nourrir les petits. Les poussins, eux, sont cachés sous un tas de pierre et ne sont pas visibles à la caméra. L’après-midi, les chercheurs ont capturé quelques oiseaux adultes pour prélever des échantillons de nourriture. Pour ce faire, ils vont chercher à la cuillère le plancton frais dans le sac gulaire du mergule nain. Apparemment, le repas des poussins se compose essentiellement d’un certain stade larvaire (stade 5) de l’espèce de plancton Calanus glacialis. La capacité de ces oiseaux à différencier les stades planctoniques et à viser juste pour les capturer, est tout bonnement incroyable !
Chercheurs de l’IRSNB
Dans la station, j’ai aussi fait la connaissance d’Alexandra, qui étudie les différents glaciers du fjord d’Hornsund à l’aide d’un sonar. Elle passe ainsi des heures dans un petit bateau, souvent à côté du glacier, pour obtenir une image de la partie immergée du glacier qui se trouve juste sous l’eau grâce aux ondes sonores. Alexandra est polonaise, elle habite et travaille en Italie et elle a connaissance des travaux de ses confrères de la DO Nature (Vera Van Lancker et Giacomo Montereale Gavazzi) qui mènent des recherches similaires avec des sonars pour étudier les fonds marins de la partie belge de la mer du Nord. Joana, qui est montée à bord pour la partie suivante de la croisière, entretenait elle aussi de bons contacts avec des scientifiques de l’IRSNB qui étudient des crustacés (Claude De Broyer en Cédric d’Udekem d’Acoz). Même dans ces contrées lointaines, la réputation des chercheurs de l’IRSNB n’est visiblement plus à faire !
Ours polaire, baleines, plancton
Nous avons eu beaucoup de chance durant ces neuf jours de voyage. D’abord, le temps était splendide (du soleil, peu de vent et un bon 5°). Les semaines précédentes, le fjord était dans le brouillard et un vent violent soufflait en mer, ce qui complique considérablement le prélèvement des échantillons et cache complètement le paysage. Nous avons aussi vu un ours polaire dans une des petites baies. Il avait réussi à mettre la main sur une grande proie dont les restes se trouvaient sur un iceberg. Ce fut une image forte : un ours polaire qui se laisse glisser d’un iceberg dans la mer et s’éloigne de nous à la nage, à une vitesse surprenante, la tête dodelinant de gauche à droite comme s’il voulait sentir à quelle distance se trouvait le danger humain. Même les scientifiques habitués des lieux étaient émus par cette rencontre unique !
Dans le fjord, une baleine à bosse (Megaptera novaeangliae) a fait deux apparitions. Elle avait trouvé un endroit grouillant de riche plancton dans le fjord, non loin d’un glacier. Alors pourquoi déménager dans ces conditions ?
Nous avons aussi vu d’autres baleines, surtout quand nous avons pris des mesures optiques en continu pendant 48 heures en pleine mer (1000 mètres de profondeur !). Qu’y a-t-il de plus beau que de prélever des échantillons d’eau à 3 heures du matin, en pleine lumière du jour, en entendant et voyant passer des baleines et des dauphins devant nous ? Le plus difficile était de m’obliger à aller dormir le soir en sachant que j’allais peut-être rater quelques belles apparitions de baleines. Voilà les avantages et inconvénients du soleil de minuit sous ces latitudes à cette époque de l’année !
Nature intacte ?
La vie à bord du RV Oceania était presque en tout point similaire à celle à bord du RV Belgica (excepté la langue polonaise, bougrement ardue). Une bonne soupe fraîche par jour, parfois une crème glacée, des cabines exiguës mais agréables, et chaque jour le défi de prendre une douche et de s’habiller dans une cabine qui bouge d’avant en arrière et de gauche à droite… La grande différence se ressent lorsqu’on est dehors, sur le pont. Pas d’horizon gris rempli de bateaux d’un côté et d’immeubles d’appartements de l’autre. En pleine mer, on ne voit qu’un horizon gris dépourvu de bateaux, et dans les fjords, un paysage de collines et de montagnes d’une beauté indescriptible, baigné de soleil et couvert de neiges éternelles et de glaciers moins éternels. Les glaciers se réduisent à une vitesse effrayante. Les cartes marines sur le pont du RV Oceania ont été adaptées en 2014 et ne correspondent déjà plus à la réalité ! Il est choquant de voir à quel point la nature intacte se transforme à cause du comportement irréfléchi des hommes à des milliers de kilomètres de là…
L’image de cet environnement fantastique, des montagnes, des glaciers, des oiseaux, du plancton, des baleines et de l’ours polaire restera à jamais gravée dans ma mémoire, et je continuerai d’inciter chacun à prendre le changement climatique au sérieux et à vouloir le comprendre. N’hésitez pas à faire de même !
Texte et photos : Sigrid Maebe
Plus d’informations sur IOPAN, RV Oceania, et la recherche dans laquelle ils sont impliqués peuvent être consultés ici. RV Oceania quittera la Pologne pour ‘AREX’2018’ – le 32ème voyage de RV Oceania à Svalbard – le 14 juin 2018, pour revenir le 29 août (planification de RV Oceania en 2018).
Lisez aussi l’histoire de la journaliste canadienne Hannah Hoag.