Le phoque gris vs l’homme

Au cours des dernières semaines, des articles alarmants sont parus dans la presse à propos des phoques gris, qui seraient « sur le point » d’attaquer les nageurs sur notre côte. Cette information doit être nuancée.

Phoque gris, 23 janvier 2007 (copyright KBIN)

Si vous avez suivi l’actualité ces derniers semaines, vous n’avez pas pu y échapper : les quotidiens, les sites internet, ainsi que les journaux télévisés et les infos à la radio ont mis en garde contre les phoques gris, décrits comme des bêtes assoiffées de sang qui feraient de nos plages et de nos eaux côtières des lieux dangereux et seraient sur le point de s’en prendre aux baigneurs.

Tout est parti d’un article dans La Dernière Heure (DH), intitulé « Il va y avoir des attaques de phoques en Belgique » (paru le mercredi 9 août) et basé sur un entretien avec Kelle Moreau, notre responsable de la communication scientifique. La couverture du journal était également peu nuancée et alarmante : « Alerte aux phoques tueurs à la côte belge ». Het Laatste Nieuws (HLN) a relayé l’information (« Zeehonden zullen zwemmers aan kust aanvallen », en français : des phoques attaqueront les nageurs à la côte), dans une version amaigrie retenant uniquement le sensationnalisme. Ce malheureux message a ensuite continué à circuler, tant dans la presse francophone que néerlandophone.

Phoque gris et un chien qui est autorisé d’approcher trop près, 14 mars 2017 (copyright Roland François)

Nous souhaitons nuancer ces informations :

L’article dans La Dernière Heure porte en réalité sur des mammifères marins et poissons rares échoués sur les plages flamandes en 2016. La prédation du phoque gris a ici été citée comme l’une des causes de mortalité des marsouins. En marge de l’interview, le journaliste a demandé s’il était possible d’exclure qu’un jour, le phoque gris s’en prenne à l’homme. Notre responsable de la communication scientifique a répondu qu’une telle attaque ne pouvait pas être exclue, mais qu’il s’agirait alors probablement moins d’un cas d’agression ou d’une tentative de prédation que d’un accident causé par un « dérangement » (d’un animal au repos sur la plage, d’une mère avec jeune…), une « confusion » (un animal cherchant de la nourriture en eau trouble pourrait confondre l’homme avec une proie) ou même un comportement de jeu. Les phoques gris ont des dents et griffes acérées, ce sont des animaux imposants et puissants, qui pourraient facilement blesser l’homme en cas d’interaction. Mais nos biologistes sont convaincus que le risque d’interaction avec un phoque gris dans nos eaux est très limité (même s’il existe), et qu’il n’est pas nécessaire de semer la panique. Il ne faut surtout pas déserter la mer et la plage, et le phoque gris est toujours le bienvenu sur nos côtes. Le seul message à faire passer est que nous devons avoir conscience que ces animaux sont des prédateurs, qu’ils méritent le respect et qu’il vaut mieux les laisser tranquilles.

Phoque gris et baigneur (copyright Diederik D’Hert)

Des chercheurs de notre institut avaient d’ailleurs déjà démontré que le phoque gris est un prédateur du marsouin. En 2011, quelques spécimens s’étaient échoués sur notre côte, avec des blessures qui – après analyse – se sont avérées avoir été causées par des phoques gris. Cette découverte avait initialement été accueillie avec une grande incrédulité. Ce n’est qu’après confirmation des résultats par des scientifiques étrangers que l’information a finalement été acceptée.

Rapport annuel des échouages 2016

Dans le cadre de l’implémentation du Décret Royal sur la protection des espèces marines dans les eaux nationales belges, un rapport annuel résumant les observations et échouages des mammifères marins en Belgique est compilé.

Le nouveau rapport (télécharger sur http://www.marinemammals.be/reports) présente un aperçu des échouages de mammifères marins et poissons rares dans la Belgique en 2016. Le rapport se concentre également sur les causes de mortalité, la réhabilitation et libération des animaux qui ont été pris en soin, et inclut une introduction aux recherches sur les effets des parcs éoliens offshore sur le marsouin.

L’échouage le plus remarquable de 2016 était celle d’un narval, un animal de l’Arctique qui a été note dans la mer du Nord pour a dernière fois il y a près de 70 ans. En outres, deux baleines à bosse ont été vus, et un requin pèlerin et deux poissons-lunes echouaient.

Avec 137 animaux, le nombre de marsouins échoués était à nouveau très élevé. Les causes de mortalité les plus fréquemment identifiées étaient la capture accidentelle et la prédation par le phoque gris. En ce qui concerne les éoliennes, on a constaté que les marsouins évitent une zone à 20 km pendant la phase de construction.

Des dauphins à bec blanc ont été observés à une seule occasion, contrairement à des grands dauphins qui ont été rapportés à plusieurs reprises. En avril, und grand dauphin s’est aussi échoué. Quelques jours après un dauphin fortement décomposé échouait tard le long de l’Escaut. L’identification de l’espèce n’a pas pu être réalisée.

Le nombre d’échouages de phoques morts ou moribonds reste similaire aux années précédentes: six phoques communs, 11 phoques gris et 12 pinnipèdes non-identifiés. Le SEA LIFE Blankenberge a pris en soin un nombre record d’individus: 15 phoques gris et 24 phoques communs, y compris un albinos. Jusqu’à 12 phoques gris et 20 phoques communs ont été libérés après la réhabilitation.

Le contrôle des émissions en soufre du trafic maritime sera-t-il bientôt étendu à l’entièreté de la mer du Nord?

Comme déjà mentionné dans son rapport d’activité du programme de surveillance aérienne de la mer du Nord de 2016, l’UGMM a récemment acquis un nouvel instrument appelé ‘renifleur électronique’ -ou ‘sniffer sensor’ en anglais- qui permet de mesurer les émissions en soufre provenant du trafic maritime depuis son avion de surveillance.

Ces nouveaux vols de contrôle des émissions en soufre furent initiés dans le cadre du projet pilote européen “CompMon”, dont le but était de contribuer à l’application de nouvelles régulations contraignantes: l’annexe VI de la convention MARPOL 73/78 et la Directive Européenne « Soufre ». La limitation de ces émissions de soufre des navires est en effet une priorité européenne à cause des nombreuses conséquences de ces émissions sur la santé publique et l’environnement (particules fines, acidification des pluies, changement climatique).

En 2016, l’UGMM a contrôlé les émissions en soufre d’environ 1300 navires en mer. Dans près de 10 % des cas (120 bateaux), le taux mesuré en soufre excéda les valeurs admises. Chaque observation suspecte fut systématiquement rapportée au service d’inspection maritime du SPF Mobilité et Transport pour de plus amples investigations en port. Si nécessaire, ces investigations peuvent être faites en coopération avec les autorités portuaires compétentes dans le cadre du réseau européen « Port State Control ».

Les résultats et l’expérience acquise dans ces vols ont été présentés et discutés durant la réunion annuelle d’OTSOPA -un groupe de travail de l’Accord de Bonn – qui s’est tenue en Norvège à la fin du mois de Mai 2017. L’Accord de Bonn est le mécanisme grâce auquel les États côtiers de la mer du Nord et l’Union Européenne collaborent afin de prévenir et de lutter contre les pollutions maritimes en mer du Nord. C’est entre autres dans le cadre de cet accord que les efforts de surveillances aériennes de la mer du Nord sont coordonnées depuis le début des années 90, originellement afin de détecter et de lutter contre les pollutions de la mer par des hydrocarbures.

Après les résultats remarquables du contrôle des émissions en soufre présenté par l’UGMM, OTSOPA a convenu de l’importance de ce nouveau type de mission de surveillance aérienne et soumettra à la réunion 2017 des Parties Contractantes de l’Accord de Bonn une demande formelle afin d’initier un programme de contrôle des émissions en soufre couvrant l’entièreté de la mer du Nord et coordonné par l’Accord de Bonn.

Par ailleurs, l’UGMM a présenté les mêmes résultats à la réunion annuelle du réseau des enquêteurs et des procureurs de la mer du Nord (NSN), qui a décidé de donner une plus haute priorité dans le suivi des poursuites en cas d’infractions aux émissions en soufre.

Avec ces efforts internationaux, notre pays joue actuellement un rôle de premier plan sur la question. En attendant, l’UGMM continue d’exécuter régulièrement des vols de surveillance de soufre en mer.

Le Secrétaire d’État à la Mer du Nord Philippe De Backer réagit très positivement: « Avec ces contrôles, la Belgique assume un rôle pionnier. Ces actions nous aident à garder notre mer propre, et se font aussi remarquer sur le plan international. Il est donc bon que ces contrôles soient étendus à travers toute la mer du Nord. »

Retour vers le Nord!

Les deux premiers Cygnes de Bewick équipés, au même endroit et à quelques jours d’intervalle, d’une balise GPS l’été passé dans la toundra de Yamal ont quitté ces derniers jours leur site d’hivernage distants l’un de l’autre de … 8000 km !

Le premier à prendre la route du nord est la femelle adulte 832X. Elle a quitté les environs du lac Poyang (sud-est de la Chine) le 03/03/2016. Elle était arrivée dans la région le 25/11/2015 et a successivement visité les lacs Sai Hu, Longhu et Longgan. Elle est donc restée au total 99 jours aux abords du Fleuve Yangsté avant de reprendre la route du Grand Nord.

Cygnes de Bewick hivernat dans la région du Lac Poyang, 29/11/2014 (photo Didier Vangeluwe)
Cygnes de Bewick hivernant dans la région du Lac Poyang, 29/11/2014 (photo Didier Vangeluwe).

Entre le 03/03/2016 et le 07/03/2016, elle a parcouru 1400 km en direction du nord-nord-est avec une pointe de vitesse de 215 km parcourus en 3 heures. Depuis, elle est en halte sur le Fleuve Jaune, dans le district de Donghan, à 250 km de la Mongolie. C’est exactement là où 865X, un autre Cygne de Bewick en provenance de Yamal et ayant hiverné dans la région du Yangsté, avait fait halte en migration post-nuptiale.

Le second Bewick ayant entamé la migration pre-nuptiale est 854X. C’est le mâle de deuxième hiver qui nous avait (après des années d’interrogations !) indiqué la route du Delta de l’Evros. 854X y était arrivé le 12/12/2015.

Zone d'hivernage du Cygne de Bewick 854X dans le Delta de l'Evros, à la frontière entre la Grèce et la Turquie.
Zone d’hivernage du 12/012/2015 au 07/03/2016 du Cygne de Bewick 854X dans le Delta de l’Evros, à la frontière entre la Grèce et la Turquie.

Après 86 jours de va-et-vient entre la Grèce et la Turquie, le fleuve faisant la frontière entre les deux pays, il s’est envolé en fin de journée du 07/03/2016, en direction du nord-est. En une étape de 12 heures de vol continu, et avec un pic de 265 km parcourus en 3 heures, 854X a survolé la Mer noire en quasi ligne droite pour se poser au petit matin du 08/03/2016 dans la Réserve de Chernomorsky, tout à l’est de la baie de Tendra, en Ukraine.

Douze heure plus tard, il repartait, plein est cette fois, pour un vol de trois heures maximum. A la nuit tombée, 854X s’est posé en mer, à quelques km au large du golfe de Khorli, un site qui concentre durant l’été plusieurs milliers de Cygnes tuberculés en mue flightless.

Les golfes de Khorli accueillent en été plusieurs milleirs de Cygnes tuberculés en mue flightless (photo Didier Vangeluwe).
Le golfe de Khorli accueillent en été plusieurs milliers de Cygnes tuberculés en mue flightless, 01/08/2009 (photo Didier Vangeluwe).

Durant la nuit, les positions reçues semblent indiquer que 854X a dérivé sur 11 km en direction de l’est. A l’aube du 09/03/2016, il a repris la route pour une courte étape de 90 km qui l’a mené dans les magnifiques lagunes hypersalines de Sivash, au nord de la Crimée. Il y est resté 4 jours et a été localisé à plusieurs reprises dans des zones de culture à proximité immédiate des plans d’eau. Très probablement s’y nourrissait-il.

Les lagunes hyper salines de Sivash sont un site de halte primordial des limicoles en migration prénuptiale, (photo Didier Vangeluwe).
854X a fait halte du 09/03/2016 au 13/03/2013 dans les lagunes hyper salines de Sivash. Ces lagunes sont un site de halte primordial pour les limicoles en migration prénuptiale. 26/07/2008 (photo Didier Vangeluwe).

854X a ensuite repris la direction de l’est pour un vol d’une quarantaine de km. Nouvel arrêt à la nuit tombée, mais cette fois en Mer d’Azov. Et nouvelle dérive durant la nuit, jusqu’à 24 km de la côte cette fois. Ce matin, 14/03/2016, 854X a repris sa route peu après 05h00 du matin (heure locale) toujours en direction de l’est. Six heures plus tard, il était localisé à 290 km à l’est, probablement en vol. 854X était alors à proximité immédiate du liman de Beisug où il s’était arrêté 51 jours durant l’automne, avant d’arriver dans le Delta de l’Evros. Va-t-il encore y faire halte où va-t-il poursuivre sa route vers l’Est, vers la Russie et le Kazakhstan?

A suivre !

Cygne à collier jaune et Oies naines

10 février, 06:50, comme chaque matin l’observation au dortoir commence dès le lever du jour. Des milliers de cygnes, principalement des Bewick, sont rassemblés pour passer la nuit en toute sécurité dans les marais de Dimitriades. La bande s’allonge sur 1 km ; c’est un spectacle très impressionnant !

The roosting flock extends on 1 km, 03/02/2016 (photo Didier Vangeluwe).
Le dortoir de cygnes des marais de Dimitriades s’étend sur 1 km, 03/02/2016 (photo Didier Vangeluwe).

La plupart des cygnes nagent dans l’eau peu profonde, une minorité est debout dans la vase qui affleure. Les contacts sont intenses, les cygnes sont des oiseaux très sociaux en dehors de la période de nidification. Ils vocalisent en permanence. Leurs appels sont très mélodieux et atteignent leur paroxysme au moment de l’envol. Ceux-ci se succèdent, par petits groupes.

08:03, deux familles de Cygnes de Bewick prennent leur envol depuis le coin sud-ouest du dortoir. Se faisant, ils dégagent la vue vers un autre petit groupe. Il est là ! Le cygne à collier jaune découvert il y 5 jours, mais dont le code n’avait pas pu être déchiffré. Il fait aujourd’hui beaucoup moins venteux et la distance n’est que de 400 m. Cela va aller ! Au bout de quelques minutes d’observation au télescope zoom 70x, les 4 caractères du code apparaissent clairement. Plus de doutes, c’est bien un Cygne de Bewick bagué aux Pays-Bas. L’encodage du code sur la plateforme geese.org qui compile les données des programmes de marquage de cygnes et oies en Europe permet de connaitre immédiatement son origine. Le cygne a collier jaune a été marqué le 26/12/2014 en Noord Brabant, non loin de la ville de s’Hertogenbosch. Il a rapidement quitté la zone pour poursuivre son hivernage en Belgique, à 50 km au sud-ouest, dans le nord de la province d’Anvers où il est resté jusqu’au 01/03/2015. Il sera observé ensuite le 31/03/2015 en Lituanie, en migration vers la Sibérie. Et l’hiver suivant, c’est donc en Grèce que nous le retrouvons.

The Bewick's Swan with yellow nexkband marked on 26/12/2014 in the Netherlands, 10/028/2016 (photo Didier Vangeluwe).
Le code du collier a pu être déchiffré aujourd’hui: ce Cygne de Bewick a été marqué le 26/12/2014 aux Pays-Bas, 10/02/2016 (photo Didier Vangeluwe).

C’est le 3ème Cygne de Bewick bagué aux Pays-Bas que nous observons dans le Delta de l’Evros. Le précédent l’avait été le 19/02/2010. Est-ce un nouveau témoignage du fait que les Bewick hivernant traditionnellement dans ce pays le désertent ? Mais si c’est bien le cas (3 observations ne permettent pas de tirer des conclusions), pourquoi un tel phénomène ? Que se passe-t-il donc aux Pays-Bas qui ne plait plus aux Cygnes de Bewick ? Manifestement, nul ne le sait avec certitude.

Objectif suivant de la journée : observer le comportement des Oies naines, une autre espèce en déclin qui hiverne également dans le Delta de l’Evros.

 

A Lesser white-fronted Goose wintering among the Greater white-fronted Geese, 11/02/2016 (photo Didier Vangeluwe).
Une Oie naine adulte hivernant parmi les Oies rieuses dan le Delta de l’Evros, 11/02/2016 (photo Didier Vangeluwe).

Les ornithologues de l’Institut de Recherche Forestière de Thessalonique, partenaire du programme sur les Bewick, étudient leur régime alimentaire en analysant les fragments de cellule des végétaux, extraits des crottes récoltées dans le marais de Dimitriades. Tout un programme !

Les sites de gagnage de 854X

Objectif de ce 09/02/2016 : identifier la typologie des sites de gagnage de 854X, le Cygne de Bewick « sentinelle » équipé d’un émetteur GPS en Sibérie.

Les données transmises depuis l’arrivée de ce cygne dans le Delta de l’Evros nous indiquent qu’il se nourri exclusivement dans la partie turque du Delta. La raison en est simple : cette zone est recouverte à 99% de rizières. Les habitats naturels, qui font par ailleurs la richesse biologique exceptionnelle de la partie grecque du Delta, ont été complètement détruits côté turc. C’est frappant à l’observation d’une carte satellite: à l’est du fleuve, tout est d’un vert soutenu : ce sont les rizière. Tandis qu’à l’ouest, on observe un patchwork de couleurs de toutes les formes, de toutes les tailles. Il y a évidemment des zones qui sont cultivées, mais pas de manière intense tandis que dans la zone côtière, les marais salants et lagunes s’étendent à perte de vue.

Satellite vieuw of the Evros Delta. The border between the Greece and Turkey follow the stream.
Vue satellite du Delta de l’Evros. La frontière entre la Grèce et la Turquie suit le cours du fleuve. La monoculture du riz est prédominente dans la partie turque du Delta.

En route donc pour la Turquie. Une partie des rizières est complètement à sec, les éteules de riz subsistant après la moisson s’alignent dans d’interminables sillons. Une autre partie est partiellement inondée, le fond des sillons est rempli d’eau, probablement consécutivement aux pluies de la semaine passée. Une troisième partie est complètement sous eau, formant des lacs de plusieurs km². C’est sur ces rizières inondées que se concentre la majorité des cygnes. Une partie de la zone ne peut cependant être prospectée car elle est sous contrôle militaire.

La plupart des cygnes sont rassemblés en 4 énormes bandes de 1500 à 4000 individus. Des petits groupes comptant de quelques dizaines à quelques petites centaines de cygnes sont dispersés çà et là. Les grandes bandes sont composées des cygnes des 3 espèces : Cygne tuberculé, Cygne de Bewick et Cygne sauvage.

Tous se gavent des racines des plants de riz qui ont été semés le printemps passé. Et tous les sites où 854X a été localisé, et qui ont pu être visités, sont effectivement des rizières complètement inondées.

Rice stubbles in Turkey: the essential feeding grounds of Bewick's Swan wintering in the Evros Delta, 09/02/2016 (photo Didier Vangeluwe).
Eteules de riz en Turquie. Il s’agit de la nourriture essentielle des Cygnes de Bewick qui hivernent dans le Delta de l’Evros, 09/02/2016 (photo Didier Vangeluwe).

A part des cygnes, il n’y a quasi pas d’autres oiseaux dans cette partie du Delta. C’est probablement la conséquence de la disparition des habitats naturels et de la monoculture du riz. Mais certainement aussi la faute à une pression de chasse qui parait très importante : chaque rizière compte une à deux huttes de chasse et les cartouches jonchent le sol par centaines.

A 14h45, au milieu d’un groupe de 2700 cygnes se nourrissant dans une rizière complètement inondée près du village d’Enes, il est là. 854X est occupé à se lisser consciencieusement le plumage.

854X in sight in Turkey, 09/02/2016 (photo Didier Vangeluwe).
854X observé sur les sites de gagnage en Turquie, 09/02/2016 (photo Didier Vangeluwe).

Hasard complet car hier, il était localisé à 26 km au nord, près du village d’Ipsala. Il y a exactement 179 jours nous étions ensemble à l’embouchure de la rivière Yuribey, sur les rives de l’Océan arctique.

Une journée n’est pas l’autre

Il gèle ce lundi 8 février à la frontière entre l’Europe et la Turquie. La journée est consacrée au comptage des oiseaux d’eau – cygnes, oies, canards, limicoles et autres mouettes – ainsi que des rapaces qui hivernent dans le Parc National du Delta de l’Evros. Parmi ces derniers, ont été observés ce jour: 2 Pygargues à queue blanche, 2 Aigles impériaux, une vingtaine d’Aigles criards, une soixantaine de Buses variables et autant de Busards des roseaux, un Faucon pèlerin, une quinzaine de Faucons crécerelles, une dizaine d’Eperviers d’Europe. Les 2 Buses pattues découvertes avant-hier n’ont pas été retrouvées.

Deux Aigles criards posés sur un tamarix dans les marais de Dimitriades, 04/12/2005 (photo Didier Vangeluwe)
Deux Aigles criards posés sur un tamarix dans les marais de Dimitriades, 04/12/2005 (photo Didier Vangeluwe)

Les Cygnes de Bewick sont bien entendu toujours sous étroite surveillance et l’observation de l’arrivée au dortoir débute à 16:00 depuis la digue qui sépare la lagune de Drana et le marais de Dimitriades. Sept Cygnes tuberculés somnolent au milieu de la zone où s’étaient rassemblés vendredi passé quelques 8500 cygnes des trois espèces. Aucun mouvement ou presque jusqu’à 17h15, au moment où le jeune Aigle impérial observé dans la matinée survole la zone en direction des collines de Loutros où est situé son dortoir. 17:30, arrivée des premiers 8 Cygnes de Bewick. Les 12 suivants arrivent à 17:35. A 17:46, il pleut des Casarcas roux. 17:58 une escadrille de 28 Cygnes de Bewick se pose délicatement sur l’eau. 18:08, il fait complètement noir, fin du comptage. Le total se porte à 48 Cygnes de Bewick. Hier, ils étaient 1240, avant-hier, 1400, vendredi 8400 ! Les Cygnes de Bewick hivernant dans le delta de l’Evros ont-ils débuté leur migration de printemps vers la toundra de Sibérie ?

Les données transmises par le cygne 854X équipé d’un émetteur GPS à Yamal permet d’interpréter ces différences. L’analyse des positions de 854X à 02:00 du matin indique qu’il y a plus d’un dortoir dans le Delta de l’Evros. Entre le 12 décembre 2015, date de son arrivée en Grèce et le 12 janvier 2016, 854X a utilisé 8 dortoirs différents, 4 situés en Grèce et 4 en Turquie. Au cours de ce premier mois, il a dormi à 23 reprises en Grèce et à 8 en Turquie. Il y a donc manifestement une répartition différente des cygnes entre les dortoirs et entre les nuits. On ignore exactement pourquoi, mais on peut postuler que les conditions météorologiques représentent un facteur important. Et ceci est une première explication aux variations des dénombrements.

Localisation (étoiles) des sites de dortoir du Cygne de Bewick 854X équipé d'un émetteur GPS; le point rouge indique le dortoir des marais de Dimitriades, (carte Nicolas Pierrard).
Localisations (étoiles) des sites de dortoir durant la période du 12/12/2015-12/01/2016 du Cygne de Bewick 854X équipé d’un émetteur GPS; le point rouge indique le dortoir des marais de Dimitriades, (carte Nicolas Pierrard).

Un autre paramètre explique ces disparités de comptage au dortoir de Dimitriades : le timing de départ des sites de gagnage. Les localisations GPS de 854X et les observations au télescope nous indiquent que ceux-ci sont quasi exclusivement situés dans la partie Turque du Delta. Une visite y est d’ailleurs prévue dans les jours prochains.

Aujourd’hui, 854X était encore en Turquie à 19:00. Considérant qu’il fait noir à 18:10, il est donc arrivé dans l’obscurité et n’a en conséquence pu être détecté et donc comptabilisé. Hier 7 février, il a été localisé à 19:00 à 7 km à l’Est du dortoir ; il était très probablement en vol vu la localisation. Idem qu’aujourd’hui donc, il arrivé au dortoir dans l’obscurité et n’a pu être compté. Avant-hier, il était encore en Turquie à 18:00 et au dortoir à 19:00. Il est rentré un peu plus tôt mais est quand même arrivé après ou juste après l’obscurité. Et le 5 février, l’histoire est déjà connue, 854X et des milliers de congénères ont passé toute la journée au dortoir de Dimitriades, ils n’ont simplement pas été ce nourrir ce jour. Ce qui a permis ce comptage record.

Tout cela n’a pas aidé à retrouver le cygne à collier jaune observé, mais pas déchiffré, le 5 février. Il reste introuvable !

Encore plus de Cygnes de Bewick dans le Delta de l‘Evros

Les conditions météo ont rapidement évolué dans le Delta de l’Evros, c’est chose fréquente. Depuis la nuit passée, le vent souffle au NNE, en rafales atteignant 70 km/h. Il a plu très abondamment toute la nuit et une partie de la journée. Les sommets des collines bordant la vallée sont recouverts de neige tant du côté grec que turc. La température tourne autour de 3-4 °C.

Les données reçues toutes les heures en provenance du Bewick 854X équipé d’un émetteur GPS/GSM indiquent que celui-ci n’a pas quitté la lagune sur laquelle il a passé la nuit précédente. Il n’est donc pas allé se nourrir de l’autre côté de la vallée, en Turquie, comme il le fait pourtant tous les jours depuis son arrivée dans le Delta. Lui est-il arrivé quelque chose ? Ou joue-t-il, comme espéré, le rôle de sentinelle qui nous permet de détecter des phénomènes plus larges ?

16h00, direction la lagune de Drana et la zone des marais de Dimitriades pour voir ce qu’il se passe. La piste est particulièrement boueuse, mais cela passe. Et au bout, le spectacle est unique : nous sommes face à une mer de cygnes. La plupart ont la tête rentrée dans le plumage, ceux qui ne l’on pas font face à la tempête, arc-boutés. Certains sont dans l’eau mais tout contre la rive afin d’éviter d’être emportés par les vagues. D’autres sont au sec, sur les parties hautes du marais salant. Ils sont en majorité couchés pour offrir le moins de résistance possible aux rafales. C’est un spectacle unique, autant de cygnes, dans de telles conditions météorologiques et dans de tels biotopes naturels.

Part of the record flock of Bewick's Swan observed in the Evros Delta, 05/02/2016 (photo Didier Vangeluwe).
Partie de la bande record de Cygnes de Bewick observée dans le Delta de l’Evros , 05/02/2016 (photo Didier Vangeluwe).

Nous estimons le nombre de Cygnes de Bewick à 8400, auxquels il faut ajouter une centaine de Cygnes sauvages et une cinquantaine de Cygnes tuberculés. C’est un nouveau maximum pour le site. Mais que se passe-t-il dans le Delta de l’Evros ? D’où viennent ces Cygnes de Bewick ? De Yamal comme 854X ? Ou d’autres régions de la toundra de Sibérie ? Les collègues russes sont particulièrement attentifs aux résultats, le Cygne de Bewick est un nicheur endémique de Russie. Il bénéficie de toute l’attention des autorités et des scientifiques en charge de la conservation de la Nature en Fédération de Russie.

Bewick's Swan marked with a yellow neckcollar originating from the Netherlands, Dimitriades area 05/02/2016 (photo Didier Vangeluwe).
Cygne de Bewick marqué avec un collier jaune en provenance des Pays-Bas, marais de Dimitriades 05/02/2016 (photo Didier Vangeluwe).

En observant et observant encore cette immense bande, notre attention est attirée par un cygne qui se toilette malgré le vent violent. Il étend son cou, lisse, ou plutôt essaie de lisser ses plumes. Il est marqué d’un collier jaune gravé d’un code permettant une identification à distance. C’est le quatrième Cygne de Bewick marqué que nous observons dans le Delta de l’Evros. Celui-ci a certainement été bagué aux Pays-Bas par des collègues de l’Institut Néerlandais d’Ecologie. Malgré tous nos efforts, impossible de déchiffrer le code : nous ne parvenons pas à nous rapprocher plus près que 750 m, la luminosité faibli avec la nuit qui tombe, le vent fait vibrer les télescopes. Nous y retournerons demain afin d’essayer de le retrouver !

L’incroyable Delta de l’Evros

5100, 5300, peut-être même 6000 ! C’est le nombre de Cygnes de Bewick qui a été dénombré ces derniers jours par les ornithologues qui travaillent pour le Parc national du Delta de l’Evros. Le précédent record était fixé aux alentours de 4500 individus recensés au cours de l’hiver passé. Le nombre de Bewick qui hivernent en Grèce progresse donc encore alors que dans le même temps les effectifs observés dans les zones traditionnelles situées autour du sud de la mer du Nord sont au plus bas.

Cygnes de Bewick quittant le dortoir de la lagune de Drana dans le Delta de l'Evros, 02/02/2016 (photo Didier Vangeluwe)
Cygnes de Bewick quittant le dortoir de la lagune de Drana dans le Delta de l’Evros, 02/02/2016 (photo Didier Vangeluwe).

Ce n’est pas une tâche facile que de compter les cygnes dans l’Evros. En effet, le delta est partagé entre la Grèce et la Turquie, ce qui rend malaisé les comptages coordonnés considérant par ailleurs que du côté turc, il n’y a pas d’équipe d’ornithologues sur place. Une partie de delta est d’ailleurs sous contrôle militaire et ne peut donc être visitée que ponctuellement et de manière très contrôlée. En plus, la zone de présence des cygnes est très vaste, environ 350 km², dont une partie est inaccessible lorsque le débit du fleuve est tellement important que les rives sont inondées à plusieurs centaines de mètres du lit normal. Enfin, les Cygnes de Bewick ne sont pas les seuls représentants de leur genre à hiverner dans le Delta de l’Evros, c’est également le cas de milliers de Cygnes tuberculés (en provenance des steppes – ou anciennes steppes – d’Ukraine et du sud de la Russie) et de Cygnes sauvages (très probablement originaires de la taïga de Sibérie). Les comptages sont donc souvent lents et malaisés car il s’agit de bien distinguer les trois espèces. Mais l’équipe grecque est particulièrement expérimentée, alternant, sur son territoire et tout au cours de l’hiver, comptages le jour chaque semaine et comptages le soir, à l’arrivée au dortoir, toutes les deux semaines.

A partir d’aujourd’hui, et pour 10 jours, les équipes grecques et belges se retrouvent dans le Delta afin d’étudier ensemble le comportement des cygnes, leur répartition entre les différentes lagunes, leur démographie en déterminant la proportion de jeunes et la taille des familles. L’objectif est également d’aller observer chaque site où a été localisé depuis son arrivée le 12/12/2016, le Bewick 854X, équipé d’un émetteur GPS le 14/07/2015 dans la toundra de Yamal (Sibérie). Cela permettra de déterminer précisément les habitats utilisés par ce «cygne sentinelle» ainsi que leur importance relative et donc de disposer de données utiles à assurer la conservation de l’espèce par, le cas échéant, des mesures de gestion adaptées. L’intervalle de localisation de l’émetteur a été fixé à 1h à compter d’aujourd’hui. Cela permettra d’obtenir des données encore plus précises au cours des jours qui viennent. Cette procédure sera limitée dans le temps car elle est évidemment coûteuse en énergie et risquerait d’épuiser la batterie solaire.

Le soleil est au beau fixe dans l’Evros aujourd’hui, la température diurne oscille entre 10-15°C. Il s’avère que quasi tous les Cygnes de Bewick sont partis se nourrir en Turquie et qu’en plus, ils n’ont quitté qu’après la tombée de la nuit leurs sites de gagnage pour rallier les lagunes où ils passent la nuit du côté grec. A peine 150 individus ont donc pu être dénombrés ce soir à l’arrivée au dortoir. Par contre, à 16:48 et ensuite à 17:11 c’est dans un ronronnement assourdissant qu’en deux vagues compactes, 4500 Tadornes casarcas sont arrivés pour dormir dans les marais situés juste au sud de la lagune de Drana. Cela se passe dans le Delta de l’Evros, et au niveau européen, uniquement dans le Delta de l’Evros !

Quelqu'uns des 4500 Tadornes casarcas rejoingant le dortoir, 02/02/2016 (photo Didier Vangeluwe)
Une partie des 4500 Tadornes casarcas rejoignant leur dortoir à côté de la lagune de Drana, 02/02/2016 (photo Didier Vangeluwe).

Rendez-vous sur place demain à 06:30, avant le lever du soleil, afin de voir si les cygnes sont bien venus dormir en Grèce et de de les compter, si possible. Et peut-être aussi d’observer 854X !

Un déclin de 30 % !

Le Cygne de Bewick est vraiment un oiseau magnifique. Il est élégant, gracieux. Son comportement social est fascinant à observer. Les parents s’occupent de leurs jeunes pendant près d’une année, ils migrent, hivernent ensemble. Les relations entre adultes sont complexes. Ils communiquent souvent entre eux par des cris très mélodieux.

Groupe de Cygnes de Bewick dans un champ, Ede 30/12/2015.
Groupe de Cygnes de Bewick dans un champ, Ede 30/12/2015 (photo Didier Vangeluwe).

Ils s’intimident parfois, ouvrant les ailes, dressant le cou, se poursuivant. Ils alternent périodes de nourrissage et de repos. De loin, dans un polders de Flandres ou des Pays-Bas, on dirait des flocons d’un blanc immaculé. Mais le soir, invariablement, ils s’envolent en escadrille bien structurée pour rejoindre leur dortoir situé sur une large étendue d’eau, parfois située à des dizaines de kilomètres de leur site de gagnage. Autant ils sont (relativement) tolérants aux activités humaines durant la journée, autant une fois l’obscurité arrivée, ils sont sur leurs gardes et cherchent à se protéger des prédateurs en se réfugiant sur l’eau.

Départ vers le dortoir, Ede 30/12/2015.
Départ vers le dortoir, Ede 30/12/2015 (photo Didier Vangeluwe).

Une situation idyllique ? Pas vraiment. Le nombre de Cygnes de Bewick hivernant dans la région de la mer du Nord (d’Est en Ouest en Pologne, Allemagne, Danemark, Allemagne, Pays-Bas, Belgique, Iles britanniques) a chuté de 30 % entre l’hiver 1994-1995 et l’hiver 2009-2010. Les données du dernier comptage global réalisé il y a un an (en janvier 2015) ne sont pas encore disponibles. Il semble que la tendance négative se poursuive.

evolution du nombre de Cygnes de Bewick hivernant dans la région de la mer du Nord
Evolution du nombre de Cygnes de Bewick hivernant dans la région de la mer du Nord et dans le delta de l’Evros (Grèce).

Quelles sont les raisons de cette chute que l’on peut qualifier de catastrophique ? On l’ignore largement. Mais on observe plusieurs faits inquiétants: les Cygnes de Bewick qui hivernent dans la région de la mer du Nord ont peu de jeunes en comparaison avec les populations qui hivernent en Chine et en Grèce. Au cours des 10 derniers hivers, la proportion moyenne de jeunes s’élève à 10,4 %. Le maximum enregistré a été de 16,6% durant l’hiver 2012/2013 et le minimum de 4,7% (ce qui est vraiment très peu !) durant l’hiver 2007/2008. Ces données ont été récoltées largement grâce à des centaines d’ornithologues volontaires qui comptent et observent les cygnes chaque hiver. Par ailleurs, les ornithologues britanniques du célèbre Wildfowl & Wetland Trust ont fait un constat interpellant. Depuis 2000, ils ont radiographié 47 Cygnes de Bewick en marge d’opérations de baguage réalisées en Angleterre. Parmi ceux-ci, 22,7 % contenaient des plombs de chasse. On peut en déduire que malgré leur statut d’espèce strictement protégée dans l’Union européenne et en Russie, les Cygnes de Bewick sont encore régulièrement braconnés. Enfin, et ici ce sont les ornithologues néerlandais de l’Institut d’Ecologie de Wageningen qui sont en pointe, on observe que les Cygnes de Bewick changent régulièrement de source d’alimentation au cours des derniers hivers et que la plupart de celles-ci sont liées aux activités humaines : prairies, labours de betteraves, de pommes de terre, éteules de maïs. Ce comportement est-il indicateur d’une situation instable, défavorable aux cygnes ? Les études sont en cours. Et puis, il y cette arrivée, progressive mais rapide, de milliers de Cygnes de Bewick dans le Delta de l’Evros en Grèce. Y a-t-il un lien de cause à effet avec la diminution des cygnes dans la région de la mer du Nord? S’agit-il d’un déplacement de population ? Est-ce une bonne – ou une mauvaise nouvelle ? C’est ce qu’essaient de comprendre les partenaires belges, russes et grecs de ce programme.

Nous devons comprendre rapidement ce qu’il se passe !