Les conditions météo ont rapidement évolué dans le Delta de l’Evros, c’est chose fréquente. Depuis la nuit passée, le vent souffle au NNE, en rafales atteignant 70 km/h. Il a plu très abondamment toute la nuit et une partie de la journée. Les sommets des collines bordant la vallée sont recouverts de neige tant du côté grec que turc. La température tourne autour de 3-4 °C.
Les données reçues toutes les heures en provenance du Bewick 854X équipé d’un émetteur GPS/GSM indiquent que celui-ci n’a pas quitté la lagune sur laquelle il a passé la nuit précédente. Il n’est donc pas allé se nourrir de l’autre côté de la vallée, en Turquie, comme il le fait pourtant tous les jours depuis son arrivée dans le Delta. Lui est-il arrivé quelque chose ? Ou joue-t-il, comme espéré, le rôle de sentinelle qui nous permet de détecter des phénomènes plus larges ?
16h00, direction la lagune de Drana et la zone des marais de Dimitriades pour voir ce qu’il se passe. La piste est particulièrement boueuse, mais cela passe. Et au bout, le spectacle est unique : nous sommes face à une mer de cygnes. La plupart ont la tête rentrée dans le plumage, ceux qui ne l’on pas font face à la tempête, arc-boutés. Certains sont dans l’eau mais tout contre la rive afin d’éviter d’être emportés par les vagues. D’autres sont au sec, sur les parties hautes du marais salant. Ils sont en majorité couchés pour offrir le moins de résistance possible aux rafales. C’est un spectacle unique, autant de cygnes, dans de telles conditions météorologiques et dans de tels biotopes naturels.
Nous estimons le nombre de Cygnes de Bewick à 8400, auxquels il faut ajouter une centaine de Cygnes sauvages et une cinquantaine de Cygnes tuberculés. C’est un nouveau maximum pour le site. Mais que se passe-t-il dans le Delta de l’Evros ? D’où viennent ces Cygnes de Bewick ? De Yamal comme 854X ? Ou d’autres régions de la toundra de Sibérie ? Les collègues russes sont particulièrement attentifs aux résultats, le Cygne de Bewick est un nicheur endémique de Russie. Il bénéficie de toute l’attention des autorités et des scientifiques en charge de la conservation de la Nature en Fédération de Russie.
En observant et observant encore cette immense bande, notre attention est attirée par un cygne qui se toilette malgré le vent violent. Il étend son cou, lisse, ou plutôt essaie de lisser ses plumes. Il est marqué d’un collier jaune gravé d’un code permettant une identification à distance. C’est le quatrième Cygne de Bewick marqué que nous observons dans le Delta de l’Evros. Celui-ci a certainement été bagué aux Pays-Bas par des collègues de l’Institut Néerlandais d’Ecologie. Malgré tous nos efforts, impossible de déchiffrer le code : nous ne parvenons pas à nous rapprocher plus près que 750 m, la luminosité faibli avec la nuit qui tombe, le vent fait vibrer les télescopes. Nous y retournerons demain afin d’essayer de le retrouver !