D’où viennent donc les Cygnes de Bewick qui hivernent en Grèce ?

L’apparition soudaine de Cygnes de Bewick dans le delta de l’Evros est déroutante. C’est un événement assez rare de voir une espèce coloniser un nouveau site si rapidement et en si grand nombre. Comme nous sommes curieux et qu’il s’agit de s’assurer que leur avenir dans la région – et au-delà – sera préservé, le phénomène amène quelques questions essentielles :

D’où viennent-ils, en d’autres termes où se situent leurs sites de nidification ? Quel(s) facteur(s) ont permis leur arrivée à la delta de l’Evros ? Ont-ils été contraint de quitter une autre zone ? Quelle(s) route(s) ont-ils suivi pour atteindre la Grèce ? Quelle(s) caractéristique(s) du delta de l’Evros ont rendu possible l’arrivée de milliers de Cygnes de Bewick en Grèce afin de passer l’hiver en toute sécurité? Ces caractéristiques sont-elles suffisamment intégrées dans le plan de gestion du Parc National de delta de l’Evros? Il est important qu’ils continuent de bénéficier de conditions idéales dans les années qui viennent. Commençons par le début … La route de migration. Que savons-nous déjà ? Nous disposons de deux sources d’information: l’observation de la migration des Cygnes de Bewick et les résultats du baguage. Concernant les observations, le nombre maximum de Cygne de Bewick détectés en Roumanie est une centaine, idem pour la Bulgarie tandis qu’il tourne autour des 300 pour l’Ukraine. Il semble fort improbable que des milliers de cygnes aient échappés à l’attention des ornithologues locaux. Mais ce n’est pas impossible, car il est connu que les Cygnes de Bewick sont capables de voler jusqu’à 2000 km non-stop.

L’examen du fichier des reprises du Centre de Baguage de Russie apporte plus d’informations.

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Mapping of the Bewick's Swan recoveries held in the database of the Bird Ringing Centre of Russia
Cartographie des sites de reprise de Cygnes de Bewick bagués dans les zones de nidification de Sibérie occidentale; toutes les données concernent des cygnes trouvés mort. Données Centre de Baguage de Russie.

Les données, qui concernent ici uniquement des cygnes trouvés mort, montrent une importante voie de migration en provenance de la zone de nidification située dans la toundra de Sibérie occidentale, vers les sites d’hivernage traditionnels situés principalement sur ​​la zone sud de la mer du Nord. Mais le fichier contient également quelques reprises indiquant un mouvement vers le sud sud-est avec une reprise dans la région de Perm, à l’ouest de l’Oural, une autre le long de la Volga entre Volgograd et Astrakhan et une troisième dans le Kraï de Stavropol à équidistance entre la mer Caspienne et mer Noire. Cette dernière localité est située à 1400 km à l’est du delta de l’Evros.

Par ailleurs, trois relectures de Cygnes de Bewick ont ​​été faites au cours des prospections menées dans le delta de l’Evros. Il s’agit de cygnes qui ont été équipés d’un collier en plastique de couleur, gravé d’un code unique permettant l’identification individuelle à distance. La première observation date du 04/02/1997 et concerne donc l’un des premiers Cygnes de Bewick observés dans le delta de l’Evros. Il s’avère qu’il a été bagué le 15/08/1992, à 3558 km de distance dans le delta du Petchora (voir blog du 23/11/2015). Un deuxième Cygne de Bewick marqué d’un collier a été observé sur la lagune de Paloukia le 12/6/1998. Il a été bagué par les ornithologues néerlandais le 27/11/1994 dans le polder du Flevoland, dans le centre des Pays-Bas. La distance entre les deux sites est 2004 km. Le dernier cygne avec collier observé dans le delta de l’Evros a également été marqué aux Pays-Bas, à Wieringermeer, le 16/12/2006. Il a été vu en Grèce le 18/02/2010.

Evros Delta, Dimitriades area, 18/02/2010, in the centre of the picture, going to the left, the Bewick's Swan marked with a neck collar on 16/12/2006 in Wieringermeer (photo Didier Vangeluwe)

Evros Delta, Dimitriades, 18/02/2010, au centre de la photo, se dirigeant vers la gauche, on distingue le Cygne de Bewick qui a été marqu » d’un collier le 16/12/2006 à Wieringermeer (photo Didier Vangeluwe).

Mais, et c’est particulièrement intéressant, il a également été observé, plus tôt au cours du même hiver et cette fois sur les rives lettonnes de la mer Baltique, par le célèbre spécialiste des cygnes en Lettonie Dmitrijs Boiko. Ce Cygne de Bewick a donc rejoint la Grèce via l’Europe de l’Est. Tout aussi remarquable, ce même cygne a passé l’hiver précédent à Welney, Norfolk (Royaume-Uni). Il était de retour à Welney l’hiver suivant son observation dans le delta de l’Evros et l’hiver d’après, c’est aux Pays-Bas qu’il a été repéré ! Ceci témoigne du fait que certains Cygnes de Bewick sont capables de changer régulièrement de site d’hivernage.

Toutes ces données nous amènent à une conclusion: il faut en connaitre plus sur la route de migration qu’empruntent les Cygnes de Bewick qui hivernent en Grèce! Etant donné qu’il semble difficile de tenter de baguer des cygnes dans le delta de l’Evros sans perturbation majeure, prenons le problème par l’autre bout et organisons une expédition dans la toundra de Russie afin de les baguer durant l’été !

Merci à Emil Todorov (Societatea Ornitologica Romana) et Boris Nikolov (Bulgarian Ornithological Centre, Institute of Biodiversity and Ecosystem Research) pour avoir fourni des informations sur la présence de Cygnes de Bewick respectivement en Roumanie et en Bulgarie. Le Centre de Baguage de Russie fait partie de l’Institut Severtsov d’Ecologie et d’Evolution. Les relectures de colliers de couleur placés sur des Cygnes de Bewick sont gérés par la plate-forme d’observation www.geese.org.