Impact de la fonte des glaciers sur les fjords du Groenland

Le Belgica documente le changement climatique dans un écosystème marin arctique

Le 13 juillet 2023, le nouveau navire de recherche océanographique belge RV Belgica quittera Reykjavik, en Islande, pour trois semaines dans les régions arctiques du sud-ouest du Groenland. L’équipe de recherche internationale à bord utilisera les installations de pointe du Belgica pour étudier comment le changement climatique, et plus particulièrement la fonte accélérée des glaciers, affectera la dynamique du carbone, la biodiversité et le réseau alimentaire dans les fjords du Groenland, un écosystème marin typique de l’Arctique.

Les fjords sont d’une importance régionale et mondiale, non seulement parce qu’ils abritent un réseau alimentaire très productif et diversifié, mais aussi parce que cette riche vie marine absorbe une grande quantité de carbone. Les fjords jouent donc un rôle de stockage de carbone plus important qu’on ne le soupçonne en raison de leur taille limitée par rapport au vaste bassin océanique.

Des glaciers de mer aux glaciers terrestres

Depuis plusieurs décennies, le réchauffement climatique a un impact significatif sur les fjords marins en raison de la fonte accélérée des glaciers. Ce phénomène a des conséquences importantes dans les régions polaires, dont le Groenland. Ici, les glaciers se terminent souvent par des fjords, appelés glaciers marins.

Les glaciers marins du Groenland, en particulier, ont récemment connu une très forte augmentation du débit des eaux de fonte causée par la fonte de la calotte glaciaire. En conséquence, de nombreux glaciers marins du Groenland se déplacent progressivement vers la terre, un processus qui se renforce même.

Icebergs provenant de la fonte d’un glacier marin au Groenland. (©UGent/A. Vanreusel)

Impact sur le fonctionnement des écosystèmes et les services écosystémiques

Bien qu’il soit de plus en plus évident que les changements de types de glaciers entraînent des modifications majeures des processus physiques, biogéochimiques et écologiques dans les systèmes de fjords adjacents, les impacts sur le réseau trophique marin et sur l’absorption et le stockage du carbone dans les fonds marins sont actuellement mal cartographiés. Par conséquent, les impacts d’un réchauffement plus important sur les services écosystémiques importants de ces fjords arctiques, tels que l’approvisionnement en nourriture et la régulation du climat, restent largement inconnus.

Cette expédition Belgica explorera dans quelle mesure la transformation des glaciers marins aux glaciers terrestres dans les fjords arctiques entraîne une baisse de la productivité primaire (production de biomasse algale à partir de carbone et d’eau en utilisant de l’énergie externe), et donc une communauté biologique et un réseau alimentaire moins riches. Cette recherche fait partie du projet CANOE (Climate chANge impacts on carbon cycling and food wEbs in Arctic Fjords), financé par la Politique Scientifique Fédérale (BELSPO).

Zone d’étude

La zone d’étude se compose de deux fjords adjacents dont les apports glaciaires, respectivement marins et terrestres, sont différents. Dans les deux fjords, un gradient allant de l’estuaire à la partie la plus intérieure du fjord sera échantillonné. Les processus dans la colonne d’eau seront décrits à haute résolution dans chaque fjord, en plus des processus et de la biodiversité du fond océanique. Le réseau trophique sera étudié à deux endroits différents dans chaque fjord.

Zone de recherche au sud du Groenland, indiquant les lieux d’échantillonnage prévus et la bathymétrie. Le fjord Ikersuaq est influencé par des glaciers marins, tandis que le fjord Igaliku est influencé par un glacier terrestre. (© CANOE)

« Avec cette expédition, l’équipe contribuera à deux problèmes sociétaux importants pour lesquels la recherche est cruciale pour des politiques durables, à savoir la pêche et le changement climatique », déclare Ann Vanreusel, professeur au département de biologie de l’université de Gand et scientifique en chef de l’expédition RV Belgica au Groenland. « En comprenant les effets du changement climatique sur les réseaux alimentaires marins, nous obtiendrons des informations importantes pour la gestion future de ces fjords ».

Le projet CANOE, coordonné par le professeur Ulrike Braeckman (Institut royal des Sciences naturelles de Belgique et Université de Gand), développera également des modèles prédictifs qui aideront à anticiper les changements actuels et futurs liés au climat dans les écosystèmes marins et les conséquences pour les ressources naturelles et les autres fonctions des écosystèmes telles que le stockage naturel du CO2.

La tradition de la recherche intégrée

La Belgique a une longue tradition en matière de recherche marine dans l’Arctique depuis qu’Adrien de Gerlache est parti en 1907 avec l’historique Belgica pour une expédition scientifique visant à explorer certaines parties de l’océan Arctique. À l’époque déjà, il s’agissait d’intégrer différentes disciplines de recherche et d’impliquer des scientifiques de différentes nationalités dans cette expédition. Dans une tradition similaire, les scientifiques de CANOE utilisent maintenant le nouveau RV Belgica pour une campagne de recherche intégrée et internationale, étudiant les aspects physiques, biogéochimiques et biologiques du sol et de la colonne d’eau dans ces écosystèmes de fjords du Groenland en relation avec la dynamique des glaciers sous l’influence du changement climatique. Une telle campagne interdisciplinaire nécessite une utilisation optimale des nombreux outils de recherche océanographiques et biologiques offerts par le RV Belgica.

 

L’équipe internationale et multidisciplinaire CANOE est dirigée par des chercheurs de l’Université de Gand (Prof Ulrike Braeckman) et comprend aussi des chercheurs de l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique (IRSNB), de l’Institut flamand de la mer (VLIZ), de l’Université d’Anvers (UAntwerpen), de l’Institut royal néerlandais de recherche sur la mer (NIOZ), de l’Université du Sud du Danemark et de l’Université de Bonn (Allemagne). La recherche est également menée en collaboration avec des instituts de recherche groenlandais.

CANOE est financé par la Politique Scientifique Fédérale (BELSPO) en tant que bénéficiaire d’un appel spécifique destiné à donner un élan au lancement de la recherche sur le nouveau RV Belgica et à permettre aux chercheurs d’apprendre à connaître le navire et son potentiel. Le projet se déroule du 15 décembre 2021 au 15 mars 2026. Plus d’informations sur le projet à http://canoe.marinetraining.eu/.

L’expédition CANOE avec le RV Belgica fait suite à l’expédition DEHEAT qui s’est déroulée dans les eaux islandaises du 26 juin au 11 juillet. Elle a étudié comment l’altération naturelle des minéraux silicatés dans la mer consomme le gaz à effet de serre qu’est le dioxyde de carbone, contribuant ainsi à l’éliminer de l’atmosphère, et comment l’accélérer pourrait être un allié dans la lutte contre le réchauffement de la planète.

De plus amples informations sur le RV Belgica peuvent être consultées sur les sites web du navire chez l’IRSNB (y compris les positions en direct et les images de la webcam) et BELSPO. Le navire et ses activités scientifiques peut également être suivi sur Facebook et Twitter.

DEHEAT 2023/05 – Hvalfjördur – Cinq façons de faire remonter la boue à la surface (2)

28 juin 2023 – Trois faits, deux à venir ! Comme si la benne Van Veen, le carottier à boîte et le carottier GEMAX ne fournissent pas déjà à l’équipe DEHEAT suffisamment d’échantillons de sédiments pour mieux comprendre le fond marin de Hvalfjördur et les processus biogéochimiques qui s’y déroulent, les scientifiques envoient deux autres types d’appareils au fond de l’eau pour collecter encore plus de sédiments.

La première est le « long carottier à gravité« , qui se compose essentiellement d’une foreuse étroite de 3 m dans laquelle est inséré un tube d’échantillonnage – ou de deux foreuses et tubes de ce type, totalisant 6 m – et d’un poids énorme pour enfoncer la foreuse dans le fond marin (d’où le terme « carottier à gravité »). De cette manière, des couches de sédiments beaucoup plus profondes sont coupées qu’avec les autres techniques, où plus c’est profond, plus c’est vieux. Les longues carottes permettent de reconstituer l’histoire sédimentologique du fond marin et de dévoiler de nombreux secrets du passé. Dans le cas de DEHEAT et des biogéochimistes à bord, l’accent est mis sur l’évolution de l’altération des silicates au fil du temps et sur le lien entre les changements historiques et les processus climatiques.

Un carottier à gravité de 6 m retourne en toute sécurité sur le pont après un échantillonnage réussi.

Christian März, professeur de géologie générale à l’université de Bonn, en Allemagne, s’intéresse plus particulièrement à la partie profonde des sédiments et s’appuie donc sur les longues carottes. En les étudiant, il peut déterminer comment la composition des sédiments a changé au fil du temps et comment ces changements ont affecté le cycle des éléments essentiels tels que le carbone, les métaux et les nutriments dans les fonds marins. L’étude des environnements passés à partir des données sédimentaires permet également de déduire des signaux de changement climatique.

« Il est également passionnant d’approfondir le thème de l’altération des silicates, un sujet nouveau et très actuel en raison de la nécessité d’arrêter et d’inverser le réchauffement climatique. Ce lien nous a permis, à ma collègue Katrin Wagner et à moi-même, de participer à l’expédition avec le RV Belgica en Islande en tant que partenaires du projet DEHEAT. À ce titre, nous mettons notre expertise au service de nos recherches et de celles de DEHEAT », explique Christian.

Cependant, le déploiement et la récupération du long carottier à gravité sont loin d’être faciles. Et une fois dans l’eau, l’échantillonnage du fond ne s’avère pas facile non plus. Le RV Belgica, polyvalent et interdisciplinaire, n’est pas parfaitement équipé pour ce type d’échantillonnage. Il faut beaucoup d’inventivité et une compréhension progressive pour réussir la procédure, mais l’équipage très motivé y parvient et livre régulièrement des « longues carottes » utiles aux scientifiques.

Un Christian ravi après plusieurs tentatives pour obtenir une bonne carotte longue.

Christian : « Le long carottier à gravité ne peut pas être déployé sur les côtés du RV Belgica, il faut donc le faire à partir de la poupe. Si la houle fait que l’amplitude du mouvement de la poupe dépasse la précision avec laquelle la position du carottier par rapport à la profondeur du fond marin est connue, il est presque impossible d’appliquer cette méthode avec succès. Il faut parfois s’y reprendre à plusieurs fois, mais grâce à l’équipage, on finit par obtenir de bonnes carottes ». Il ajoute en riant : « C’est pourquoi j’aime tant travailler dans le centre de l’Arctique. Là, la glace empêche le navire de bouger et nous pouvons travailler avec plus de précision ».

Enfin, il existe un cinquième moyen de remonter les sédiments à la surface lors de la campagne DEHEAT : l’atterrisseur benthique. Cependant, il serait irrespectueux de considérer cet appareil comme une simple prise de sédiment. Après tout, l’atterrisseur fait bien plus que cela. Il s’agit d’une plate-forme envoyée dans les profondeurs pour prendre des mesures sur le fond marin lui-même, équipée de ce que l’on appelle des « chambres de flux benthiques » qui mesurent le flux de substances entre le fond marin et l’eau qui le surplombe. L’atterrisseur reste sur le fond marin pendant un ou plusieurs jours, tandis que les scientifiques de DEHEAT, dans une autre station, prélèvent des échantillons et effectuent les actions préprogrammées, tout en stockant les données résultantes dans un enregistreur de données alimenté par une batterie.

L’atterrisseur benthique utilisé lors de l’expédition DEHEAT appartient à l’Université de Göteborg, Suède, qui emploie un véritable gourou de l’atterrisseur benthique en la personne de Mikhael Kononets. Il est presque inconcevable que l’atterrisseur soit déployé sans la présence de Mikhael pour superviser l’opération. L’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique a donc conclu un contrat avec lui pour la durée de l’aventure du RV Belgica en Islande, ainsi que pour l’expédition suivante au Groenland. Il a embarqué à Galway, en Irlande, et a été constamment impliqué dans l’atterrisseur pendant le voyage vers l’Islande et pendant le séjour de deux jours à Reykjavik. Mikhael et l’atterrisseur semblent liés et il n’a même pas posé le pied sur le sol islandais, mais il s’est occupé de veiller à ce que l’atterrisseur soit parfaitement prêt pour ses fonctions à bord du RV Belgica. « C’est juste du béton, c’est partout pareil, n’est-ce pas ? » plaisante-t-il.

La récupération de l’atterrisseur benthique.

Le déploiement de l’atterrisseur depuis le RV Belgica, et surtout son retour à bord, demandent un certain travail. Mikhael explique comment cela fonctionne : « Ce n’est pas tant le déploiement de l’atterrisseur qui pose problème. Il peut être soulevé par-dessus bord, puis le ballast le fait couler au fond de la mer. De vieux rails de chemin de fer, donnés par la société suédoise Stena Recycling, sont utilisés comme ballast dans ce cas. Une fois que l’atterrisseur a fait son travail, nous activons le mécanisme de libération à l’aide d’un signal acoustique via un hydrophone, après quoi les compartiments remplis de polystyrène le font remonter à la surface. Les spores sont laissées sur place, ce qui n’est pas un problème car la production primaire en mer est limitée par la disponibilité du fer ».

Ce n’est qu’ensuite que le plus dur commence : ramener l’atterrisseur à bord. Mikhael : « Nous devons d’abord repérer l’atterrisseur flottant. En général, nous connaissons très précisément sa position, mais si nous ne pouvons pas le voir tout de suite – en raison de l’action des vagues, par exemple – nous pouvons utiliser un simple signal radio pour déterminer dans quelle direction chercher. Une fois trouvé, l’atterrisseur est alors soigneusement remorqué à l’aide d’un RHIB (bateau pneumatique à coque rigide) jusqu’à la poupe du RV Belgica, d’où il peut être hissé à bord. Le temps qui s’écoule entre l’appel de l’atterrisseur et sa remontée dans la colonne d’eau peut parfois être éprouvant pour les nerfs… Après tout, il y a déjà eu des cas d’atterrisseurs perdus à jamais… ».

Mikhael ajuste l’atterrisseur benthique.

Pour mettre à l’eau cette grande variété de matériel d’échantillonnage, pour l’échantillonnage proprement dit de la colonne d’eau et du fond, et pour récupérer le matériel, il est évidemment très important que la plate-forme sur laquelle se déroulent ces opérations soit très stable et reste très précise sur place. Le RV Belgica est en effet un navire très stable, mais le vent et l’action des vagues sont également importants et on dépend aussi de la houle. Pour la seconde, le système de positionnement dynamique entre en jeu. Le positionnement dynamique est un système contrôlé par ordinateur qui maintient automatiquement la position et la trajectoire d’un navire en utilisant ses propres hélices et propulseurs. L’équipe DEHEAT est comblée : tous les échantillonnages se déroulent comme prévu à Hvalfjördur grâce à des conditions favorables et au positionnement dynamique du RV Belgica. Croisons les doigts pour qu’il en soit de même plus tard sur le plateau continental.

Ne vous méprenez pas, les techniques d’échantillonnage du sol mentionnées ne sont pas seulement utilisées le jour où elles sont décrites dans ce blog, mais font partie de la routine quotidienne. Il en va de même pour le CTD dont nous avons parlé précédemment et pour de nombreuses opérations et analyses qui suivront.

Et le fjord ? Qui reste pittoresque !

Belle Hvalfjördur.

DEHEAT 2023/04 – Hvalfjördur – Cinq façons de faire remonter la boue à la surface (1)

27 juin 2023 – Combien de méthodes pouvez-vous imaginer pour faire remonter la boue des fonds marins à la surface ? Pas moins de cinq techniques seront utilisées lors de la campagne DEHEAT avec le RV Belgica, toutes de conception différente mais avec un objectif commun : apporter aux scientifiques des échantillons de la précieuse boue, de ses habitants et de ses gradients chimiques, sans les mouiller ! Mais les empêcher de se salir n’est pas garanti ! Certes, il est préférable de parler de « sédiments » plutôt que de boue, car techniquement, ce n’est pas toujours de la boue qui est remontée à la surface. De même qu’une eau n’est pas l’autre, un sédiment n’est pas non plus l’autre.

Commençons par la méthode la plus simple et la moins sophistiquée, qui est généralement le premier échantillonneur de sédiments déployé à chaque nouvelle station d’échantillonnage au cours de la campagne DEHEAT : la benne Van Veen (ou simplement le Van Veen). Dès que le CTD est de retour à bord. Cet instrument n’est rien d’autre qu’un seau en acier inoxydable en forme de coquille qui s’ouvre comme des ciseaux au fur et à mesure qu’il descend dans la colonne d’eau. Le mécanisme de verrouillage est libéré lorsque l’appareil touche le fond marin, ce qui permet aux moitiés du seau de se refermer et de saisir un échantillon de sédiments lorsque l’appareil est remonté.

La benne Van Veen

Dans le cadre du programme étendu, un carottier à boîte est généralement envoyé sur le fond marin lorsque l’échantillonnage Van Veen est terminé. Cette opération peut être effectuée une ou plusieurs fois, en fonction des besoins d’échantillonnage. Techniquement, le carottier à boîte est également un dispositif de collecte de sédiments assez simple, composé essentiellement d’une carotte cylindrique qui s’appuie sur des poids pour aider le cylindre à pénétrer dans le fond marin et d’une bêche qui scelle la carotte par le bas pour empêcher la perte de l’échantillon de sédiments lorsque l’appareil est remonté à la surface.

Le carottier à boîte

La prochaine étape du programme consiste à déployer le carottier GEMAX. Il ressemble un peu à une double torpille avec des ailes (voir photo, montrant l’appareil avant qu’il ne soit descendu sur le fond marin) où des conteneurs d’échantillons tubulaires sont insérés dans les deux carottes qui sont retirées après avoir été récupérées – avec l’espoir qu’elles soient remplies de sédiments.

Le carottier GEMAX

Contrairement à la benne Van Veen et au carottier à boîte, le GEMAX n’est pas seulement déployé une ou plusieurs fois à chaque station d’échantillonnage, mais recueille jusqu’à 22 carottes de sédiments par site.

Per Hall, biogéochimiste marin et professeur émérite à l’université de Göteborg, explique : « Le GEMAX prélève des carottes non perturbées et fournit donc un échantillon de sédiments plus représentatif que, par exemple, le carottier à boîte. Ce dernier perturbe davantage les sédiments, pour plusieurs raisons. L’une d’elles est qu’il a une très grande « vague d’arc » qui peut éloigner les particules de la surface des sédiments. En outre, le sédiment à l’intérieur de la boîte peut être plus perturbé, il peut y avoir des fissures, de l’eau peut s’infiltrer entre la paroi de la boîte et le sédiment. Cela ne pose souvent pas de problème, par exemple si vous cherchez des échantillons de faune, mais si vous voulez des gradients chimiques non perturbés dans vos carottes, comme c’est le cas pour de nombreuses analyses biogéochimiques de DEHEAT, le GEMAX est un bien meilleur choix. Le choix du carottier dépend donc de l’objectif de l’échantillonnage ».

Per est un académique senior qui n’hésite pas à se salir les mains. » Bien que je sois officiellement à la retraite, je continue à faire de la recherche à temps partiel parce que cela m’intéresse et m’enthousiasme toujours. Aujourd’hui, je participe à cette expédition à l’invitation de Sebastiaan, en essayant d’apporter mon expertise à l’ensemble de la chaîne, depuis les aspects pratiques de l’échantillonnage jusqu’aux discussions sur les données ».

Per avec un échantillon de sédiment du carottier GEMAX.

Saheed Puthan Purayil, de l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique, aide Per à prélever les différentes carottes de sédiments. Il est titulaire d’un doctorat en océanographie physique et possède une vaste expérience de la recherche, des prévisions et de la modélisation océaniques. Mais se retrousser les manches ne fait pas partie de ces expériences.

Saheed nettoie les carottes du GEMAX entre les sessions d’échantillonnage.

« J’ai participé à de nombreuses expéditions scientifiques en mer, parfois en tant que scientifique en chef, mais c’est la première fois que j’aide à prélever des carottes de sédiments. Je trouve spécial de voir comment les carottes sont traitées après que nous les ayons remises à d’autres scientifiques, et comment certaines données apparaissent déjà au cours de l’expédition », explique-t-il.

Saheed apprécie manifestement de faire partie de l’expédition DEHEAT : « C’est aussi une expédition amusante et passionnante, avec des scientifiques issus de domaines et d’instituts si différents et de nationalités si diverses, ainsi qu’un navire et un équipage formidables. Et tout le monde est très amical ! »

Tous les carottiers de sédiments susmentionnés et le CTD seront déployés sur le côté tribord du RV Belgica, à l’aide d’une grue et d’un treuil spécialement installés pour le déploiement de ces instruments.

Le CTD dispose même de son propre hangar et de son propre système d’exploitation, car il ne faut pas que des sédiments volants contaminent les précieux échantillons d’eau. Je plaisante ! Bien entendu, les sédiments sont également manipulés avec le plus grand soin. Mais lorsque l’on nettoie les carottiers entre deux prélèvements (parce que même les résidus de sédiments d’un prélèvement ne doivent pas affecter le suivant), il n’est pas inconcevable que des sédiments se retrouvent sur la rosette CTD ou dans les échantillons d’eau. Et pour les scientifiques qui effectuent un échantillonnage CTD précis et propre, il est également plus correct et plus agréable de pouvoir travailler à l’abri dans de mauvaises conditions météorologiques.

En parlant de météo, nous avions été prévenus que le temps en Islande peut prendre n’importe quelle forme en été également. C’est ce que nous avons constaté aujourd’hui, avec une alternance de soleil, de nuages, de brouillard, d’une rafale de pluie et même d’un flocon de neige. Mais Hvalfjördur est resté d’une beauté saisissante dans toutes ces conditions !

C’est un plaisir de travailler dans le paysage fantastique de Hvalfjördur.

La science et l’industrie s’associent pour étudier les défis environnementaux posés par les panneaux solaires flottants en mer

Pour répondre aux besoins croissants de notre société en matière d’énergie renouvelable, le potentiel de l’énergie solaire offshore est également exploré aujourd’hui. Cependant, la technologie doit encore être développée et on doit veiller à ce que cela se fasse dans le respect de l’environnement marin. Dans le projet EcoMPV, les développements technologiques et le suivi de l’impact vont de pair. En travaillant ensemble dans le cadre de ce projet pilote, la science et l’industrie apprennent à comprendre l’impact des panneaux solaires flottants sur l’environnement offshore et peuvent éviter ou atténuer leurs effets dans la mesure du possible dès le début d’initiatives commerciales potentielles. Grâce aux connaissances acquises, les impacts positifs peuvent être directement renforcés. L’installation de trois modules expérimentaux en mer s’est achevée le 28 juin.

Le besoin croissant de production locale d’énergie renouvelable et l’accélération de la transition énergétique, combinés à la rareté des terres, conduisent les décideurs politiques, l’industrie mais aussi les scientifiques à s’intéresser de plus en plus aux sites offshore. À ce jour, la production d’énergie renouvelable en mer est principalement assurée par des parcs éoliens. La Belgique est devenue l’un des leaders internationaux dans ce domaine.

Parallèlement, on s’intéresse de plus en plus aux possibilités de produire de l’énergie solaire en mer. La complémentarité des technologies éoliennes et solaires a été confirmée dans le monde entier. Étant donné que les gouvernements encouragent de plus en plus l’utilisation multiple de l’espace marin et que les infrastructures de réseau en mer présentent un bon potentiel d’utilisation combinée, l’intégration d’installations solaires flottantes dans les parcs éoliens en mer actuels et futurs offre la possibilité d’ajouter de grandes quantités d’énergie renouvelable supplémentaire. Cependant, la technologie et les connaissances sur les impacts environnementaux de l’énergie solaire flottante n’en sont qu’à leurs balbutiements.

Impression d’artiste de la conception de SeaVolt pour l’énergie solaire flottante en mer

Défis environnementaux

Dans le cadre du projet EcoMPV (Eco-designing Marine Photovoltaic Installations), des scientifiques et des partenaires industriels collaborent pour approfondir les connaissances sur les défis environnementaux posés par les installations photovoltaïques flottantes en mer, dans le but de trouver des solutions techniques pour atténuer les impacts indésirables et maximiser les impacts positifs.

Les lacunes en matière de connaissances seront comblées en ce qui concerne (1) la modification du champ lumineux sous-marin, l’hydrodynamique, la biogéochimie pélagique et la production primaire, (2) la fourniture d’habitats artificiels à la faune et aux poissons colonisateurs, et (3) les effets sur les flux et le stockage du carbone. En outre, des conseils sur la conception écologique des installations photovoltaïques en mer seront formulés, ce qui ouvrira la voie à l’octroi de licences environnementales.

Préparer les premières installations photovoltaïques flottantes

Les 24 mai, 28 mai et 28 juin 2023, des scientifiques de l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique (IRSNB) ont installé trois « modules littoraux » expérimentaux au bord du parc éolien offshore Mermaid, dans la zone énergétique offshore opérationnelle de Belgique. Ces modules flottants sont équipés de plaques de colonisation en différents matériaux afin d’étudier le potentiel de colonisation de la faune marine et la fourniture d’habitat des structures flottantes artificielles, y compris les systèmes photovoltaïques flottants en mer.

Installation d’un ‘module littoral’ expérimental au bord du parc éolien offshore Mermaid le 24 mai 2023 avec le RV Belgica. (© IRSNB/MARECO)

Les modules ont été conçus et développés par Jan De Nul Group en collaboration avec l’IRSNB, et avec le soutien de l’EMBRC Belgium (European Marine Biological Resource Centre). L’installation a été réalisée à bord du RV Belgica et du Zeetijger et les modules resteront dans l’eau pendant environ un an et demi. Les modules seront contrôlés régulièrement afin de suivre la colonisation.

L’emplacement des tests expérimentaux a été choisi pour être aussi similaire que possible à la zone Princess Elisabeth (ZPE), qui a été désignée comme une nouvelle zone pour la production d’énergie renouvelable en mer dans le plan d’aménagement des espaces marins 2020-2026. Bien que la ZPE reste principalement axée sur l’énergie éolienne en mer, la combinaison avec des panneaux solaires flottants semble prometteuse.

Vincent Van Quickenborne, ministre de la mer du Nord : « Avec EcoMPV, des mesures importantes sont prises pour évaluer correctement l’impact environnemental des panneaux solaires flottants. C’est important. On estime que le potentiel des panneaux solaires flottants est élevé. Si nous voulons les utiliser plus tard à l’échelle commerciale, il est nécessaire de tenir compte de leurs effets sur l’environnement marin afin de les éviter ou de les atténuer autant que possible. La Belgique montre ainsi une fois de plus que l’économie et l’écologie vont de pair ».

Tinne Van der Straeten, ministre de l’énergie : « Dans notre pays, nous avons la matière grise et la volonté de trouver des solutions aux défis de l’avenir. Avec le Fonds de transition énergétique, nous voulons donner un coup de fouet à ces solutions. Le gouvernement fédéral soutient 21 projets de premier plan, dont EcoMPV. Les panneaux solaires flottants en mer font partie de la solution pour faire de notre mer du Nord la plus grande centrale électrique verte d’Europe. EcoMPV montre une fois de plus que nous pouvons compter sur le savoir-faire et l’expertise belges pour ces solutions. »

À propos d’EcoMPV

EcoMPV est financé par le Fonds de transition énergétique du SPF Économie, DG Énergie, a démarré en novembre 2022 et durera trois ans. Le projet est coordonné par l’équipe de recherche ‘Marine Ecology and Management’ de l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique (IRSNB), avec l’Université de Gand comme partenaire scientifique et Tractebel, Jan De Nul Group et DEME Group comme partenaires industriels.

Les objectifs d’EcoMPV sont les suivants :

  • Approfondir les connaissances sur les effets des structures photovoltaïques flottantes sur l’hydrodynamique et la productivité du phytoplancton;
  • Explorer l’habitat que les structures flottantes fournissent à la vie marine, y compris la faune colonisatrice et l’attraction pour les poissons;
  • Décrire les effets de la faune colonisatrice (encrassement) des structures flottantes sur les sédiments environnants, y compris l’enfouissement et la séquestration (stockage) du carbone;

Contribuer à la conception de systèmes photovoltaïques flottants respectueux de la nature, sur la base des résultats des objectifs précédents, afin de garantir la durabilité écologique de ces systèmes.

Installation d’un ‘module littoral’ expérimental au bord du parc éolien offshore Mermaid le 24 mai 2023 avec le RV Belgica. (© IRSNB/MARECO)

Le Fonds de transition énergétique a vu le jour en 2017, visant à soutenir la recherche, le développement et l’innovation en matière de transition énergétique. Au total, 51 propositions ont été reçues suite à l’appel à projet de novembre 2022. Parmi elles, 21 ont été sélectionnées pour bénéficier d’une subvention. Grâce à ce fonds, l’expertise des entreprises et des start-ups sera mise à profit pour accélérer la transition énergétique.

Multiples rejets en mer du Nord ces dernières semaines

Ces dernières semaines, l’avion de surveillance de l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique (IRSNB) a documenté un nombre remarquable de pollutions en mer. Celles-ci vont à l’encontre de la tendance de ces dernières années, surtout en ce qui concerne la pollution par les hydrocarbures. Ces observations illustrent la grande importance de la surveillance aérienne de la mer.

Le 20 juin, un navire de pêche a été pris en flagrant délit de rejet d’hydrocarbures dans la zone économique exclusive belge.

Le 27 juin, une grande nappe d’hydrocarbures a été observée sans être liée à un pollueur. Il s’agit de l’une des plus grandes nappes d’hydrocarbures des 15 dernières années qui ne résulte pas d’un accident dans les eaux belges. Le volume minimal déversé a été estimé à 1,6 tonne d’hydrocarbures.

La grande nappe d’hydrocarbures documentée le 27 juin 2023 (© IRSNB/UGMM)
Détail de la grande nappe d’hydrocarbures documentée le 27 juin 2023 (© IRSNB/UGMM)

Un jour plus tard, deux navires ont été observés en train de rincer des citernes, ce qui a entraîné le déversement d’huile végétale et de dérivés dans l’eau. La légalité de ces opérations devra être déterminée par une inspection portuaire. Le rejet d’un des deux navires a été détecté dans la matinée par un satellite de l’Agence européenne pour la sécurité maritime (EMSA). Lorsque l’avion a contrôlé le navire quelques heures plus tard, il s’est avéré que le rinçage du pétrolier était toujours en cours.

Détail de la contamination trouvée le 28 juin 2023 (© IRSNB/UGMM)

Dans aucun de ces cas, il n’y a eu de risque que les contaminants s’échouent sur la côte.

Contre tendance

Les nappes d’hydrocarbures observées ces derniers jours contrastent fortement avec la tendance générale qui se dégage des résultats de 30 années de surveillance de l’air en Belgique. Ceux-ci montrent que la pollution marine par les hydrocarbures est devenue un phénomène rare au cours de la dernière décennie. Le nombre de rejets d’autres substances liquides nocives (SLN) a connu une légère augmentation ces dernières années ; 2022 étant l’année où le nombre de polluants SLN observés par heure de vol a été le plus élevé depuis le début des observations en 1991. Bien que la plupart des rejets de ce dernier type soient probablement légaux et conformes aux normes internationales de rejet, il s’agit néanmoins de fluides qui peuvent être nocifs pour l’environnement marin à des degrés très divers.

Les observations faites ces dernières semaines ne doivent pas nécessairement nous inquiéter, car il se peut que ce soit une coïncidence que plusieurs contrevenants aient été actifs dans les eaux belges de la mer du Nord au cours d’une courte période. Toutefois, ces résultats montrent qu’il faut continuer à surveiller étroitement et à appliquer la réglementation, tant en mer qu’à terre. Ainsi, même dans les airs, une plateforme de surveillance rapidement opérationnelle reste une nécessité absolue.

DEHEAT 2023/03 – Hvalfjördur – À la recherche de l’eau

26 juin 2023 – Le RV Belgica est en pleine effervescence ce matin, alors que le navire quitte le port de Reykjavik pour se rendre à sa première station d’échantillonnage. La route n’est pas longue, car les premiers jours de l’expédition se dérouleront dans un fjord situé juste au nord de la capitale islandaise. Le fjord en question est le Hvalfjördur, littéralement traduit par « fjord des baleines ». Il faut moins de deux heures pour arriver à la station HF3, qui a le privilège d’être la première à être échantillonnée. Ce premier prélèvement est toujours un moment crucial, car il est certainement préférable pour le moral de commencer par un succès. Une seule chose est sûre pour l’instant : le temps ne sera certainement pas un rabat-joie ! L’eau est calme, le vent absent et le soleil agréable.

Le RV Belgica navigue vers Hvalfjördur.

La campagne DEHEAT commence par le déploiement du CTD, qui deviendra le point de départ habituel des opérations sur chaque site d’échantillonnage. CTD signifie conductivité, température et profondeur, des paramètres mesurés par des capteurs intégrés dans une structure qui consiste en 24 bouteilles Niskin placées en rosette. Par souci de simplicité, nous appellerons l’ensemble « CTD ».

La rosette contenant 24 bouteilles Niskin et les capteurs CTD quitte le hangar CTD du RV Belgica.

La construction CTD est un outil océanographique essentiel. Lorsque le CTD descend dans la colonne d’eau jusqu’à la surface du fond, la profondeur et les changements de température, de salinité et de teneur en oxygène de l’eau peuvent être suivis en temps réel sur un ordinateur. En fonction de l’évolution de ces paramètres, les scientifiques décident à quelle profondeur des échantillons d’eau seront prélevés. C’est là qu’interviennent les bouteilles Niskin, qui peuvent être fermées à distance, une à une, d’un simple clic de souris. Cela se produit pendant le voyage de retour de la rosette vers la surface.

Contrôle en temps réel de la température, de la salinité et de la teneur en oxygène pour déterminer la profondeur à laquelle les différentes bouteilles Niskin sont fermées.

Lors du premier voyage du CTD vers le fond et de sa remontée, le ‘wetlab’ (laboratoire humide) qui abrite l’ordinateur sur lequel les paramètres du CTD sont contrôlés a été particulièrement occupé. Tout le monde voulait être personnellement témoin des toutes premières données apparues au cours de l’expédition DEHEAT. Dans les jours qui suivent, ce moment sera beaucoup moins fréquenté. Cela n’a bien sûr rien à voir avec une perte d’intérêt, mais est entièrement dû au fait qu’aucune autre activité n’avait encore commencé pendant le tout premier CTD. Dans les stations suivantes, la situation sera très différente, et le calendrier des activités des différents scientifiques sera donc lui aussi de plus en plus différent.

Un wetlab très peuplé pendant les premières mesures CTD.

Par la suite, ce seront principalement quelques visages habituels qui seront présents à chaque CTD, prenant les décisions concernant la collecte d’échantillons d’eau et la fermeture des bouteilles Niskin. Outre Sebastiaan van de Velde, scientifique en chef de DEHEAT, l’équipe CTD permanente se compose de Kate, Lei et Felipe. Ce sont également eux qui prélèveront éventuellement des échantillons du contenu des bouteilles Niskin, de différentes manières et à différentes fins.

L’administration est assez lourde, car chacun à bord veut sa part d’eau, et l’une des eaux s’avère ne pas être l’autre … Des échantillons doivent être prélevés pour déterminer l’alcalinité, le carbone inorganique dissous, les nutriments, le silicium, les métaux, l’oxygène, le magnésium et le strontium, la salinité, … et tous ces échantillons sont nécessaires dans des volumes différents, doivent être stockés dans des conteneurs différents, nécessitent un traitement différent et doivent être transportés à différents endroits du navire. Pour compliquer encore les choses, certains échantillons ne doivent être prélevés que dans le fjord, ou plus tard seulement en haute mer, ou seulement à certaines profondeurs, et différents participants à l’expédition viennent avec des bouteilles de grande taille ou même plus grandes pour obtenir également leur part d’eau …

Kate Hendry a la tâche importante d’assurer le suivi des données, non seulement pour l’échantillonnage CTD, mais aussi pour presque tous les échantillons prélevés au cours de l’expédition. Kate est climatologue océanique, océanographe chimiste ou biogéochimiste au British Antarctic Survey. Elle fait partie du comité scientifique et du comité directeur de DEHEAT et a également été désignée comme deuxième responsable scientifique de l’expédition.

Kate Hendry (British Antarctic Survey) est co-responsable scientifique et gestionnaire des données générales lors de l’expédition DEHEAT avec le RV Belgica.

 Kate explique ce que cela signifie : « Le travail de co-responsable scientifique consiste à vérifier le bon sens et à donner son avis au responsable scientifique. Lors d’une expédition comme celle-ci, il y a beaucoup de choses à penser et à surveiller, et de nombreuses décisions importantes doivent être prises. Mon travail consiste à proposer des idées, des suggestions, des alternatives et des solutions à tous les problèmes. Mais pour être honnête, Sebastiaan fait un excellent travail, donc pour moi ce n’est pas trop grave, tout se passe bien ».

En ce qui concerne la tâche consistant à tout suivre, elle ajoute : « Outre la science, je me concentre sur la gestion des données, je m’occupe de la paperasserie et je veille à ce que tout soit archivé. La dernière chose que l’on souhaite, c’est que des documents importants se perdent, c’est pourquoi je m’assure que tout est scanné et archivé. Cela s’avère parfois utile, même des mois ou des années après une campagne sur le terrain, si quelque chose déroute ou intrigue les chercheurs, les obligeant à revenir aux journaux originaux vitaux ».

Revenons maintenant à l’échantillonnage CTD. Felipe Sales de Freitas, océanographe chimiste/ géochimiste et chercheur postdoctoral à l’Université Libre de Bruxelles, est directement impliqué dans le projet DEHEAT, fournissant ce que l’on peut considérer comme « l’échantillonnage CTD à petit volume » pour toute une série de cibles, dont la plupart nécessitent que l’eau soit filtrée des bouteilles Niskin.

« Mais d’abord, nous devons accomplir le rituel sacré qui consiste à rincer chaque récipient ou outil trois fois avec l’eau que nous allons échantillonner », explique-t-il en riant. « Ensuite, nous pressons l’eau dans des seringues et des filtres jusqu’à ce que nos pouces soient complètement à l’étroit. »

Felipe explique son rôle dans l’expédition DEHEAT Belgica comme suit : « Dans cette expédition, je suis essentiellement une paire de mains supplémentaire dans diverses actions d’échantillonnage en raison de mon expérience dans l’échantillonnage sur le terrain et l’analyse. Plus tard, j’utiliserai une grande partie des données issues du carottage des sédiments et de l’analyse de l’eau pour la modélisation géochimique de DEHEAT ».

Felipe Sales de Freitas (ULB) pendant le traitement des échantillons d’eau du CTD.

Lei Chou, quant à elle, traîne de grands récipients entre les bouteilles Niskin et un système de filtration plus sophistiqué qu’elle a apporté elle-même et qui est mieux adapté au filtrage de plus grands volumes. Biogéochimiste marin et professeur émérite à l’Université libre de Bruxelles, elle reste active et impliquée dans la recherche et la formation des étudiants.

Lei a eu très peu de temps pour se préparer à l’expédition DEHEAT, mais elle en tire le meilleur parti : « On m’a proposé une couchette sur le RV Belgica quelques semaines seulement avant le début de l’expédition, une place s’étant soudainement libérée en raison de l’annulation d’un autre participant. J’ai dû faire vite et envoyer deux valises de matériel à Reykjavik car le Belgica avait déjà quitté son port d’attache de Zeebrugge. En effet, je voulais profiter de l’occasion pour collecter des échantillons supplémentaires pour les matières en suspension, les nutriments, les métaux et la teneur en chlorophylle afin de compléter le plan DEHEAT déjà très ambitieux ».

Lei Chou (ULB) lors du traitement des échantillons d’eau du CTD.

Nous pouvons être sûrs que l’eau de mer islandaise aura beaucoup moins de secrets après l’analyse des échantillons de DEHEAT.

DEHEAT 2023/02 – Se préparer pour l’Islande

25 juin 2023, 17h00 – Il serait faux de prétendre que les préparatifs d’une expédition en mer commencent le jour de l’embarquement des participants. En réalité, les préparatifs durent depuis longtemps, depuis la conceptualisation, la rédaction de la proposition de projet, la préparation et la soumission de la demande d’utilisation du navire choisi, jusqu’à la préparation pratique de l’expédition.

Cette dernière étape est une tâche titanesque, surtout pour une expédition à caractère international comme l’expédition DEHEAT. En effet, du matériel a dû être envoyé de différents endroits d’Europe à Zeebrugge et Reykjavik, tout a dû trouver une place logique à bord, et toute une série d’équipements d’échantillonnage et de laboratoires ont également dû être préparés et mis en place pour pouvoir être utilisés dès le début de l’expédition proprement dite. Un certain nombre de scientifiques étaient déjà montés à bord à Galway à cette fin, afin d’effectuer les préparatifs nécessaires pendant le voyage de l’Irlande à l’Islande.

Mais aujourd’hui, le grand jour est enfin arrivé : tous les scientifiques qui participeront à l’expédition DEHEAT en Islande jettent leur premier regard sur le RV Belgica, le navire à bord duquel ils passeront 17 nuits et donneront le meilleur d’eux-mêmes pendant les jours qui suivront.

RV Belgica dans le port de Reykjavik, Islande, 24 juin 2023 (© IRSNB/K. Moreau)

Ils sont 22, issus d’universités et d’instituts de Belgique, du Royaume-Uni, d’Allemagne, du Danemark et de Suède, mais ils représentent bien plus de nationalités différentes. Certains ont déjà travaillé ensemble, mais il y a aussi beaucoup de nouveaux visages.

Ce n’est pas un luxe superflu que de compiler un aperçu des photos avec les noms, ce qui permet aussi à l’équipage habituel du RV Belgica de savoir immédiatement qui est qui. L’aperçu est accroché dans le mess, pratiquement le seul endroit à bord où tout le monde se rend plusieurs fois par jour. Tout le monde le voit donc régulièrement et peut rapidement associer des noms aux nombreux visages !

Le désordre scientifique de l’aventure DEHEAT dans les eaux islandaises avec le RV Belgica (© IRSNB/K. Moreau)

Le départ n’est prévu que demain matin, mais la première soirée à bord est immédiatement mise à profit. Tout d’abord, il y a l’indispensable briefing de sécurité donné par le chef Sam, où tout le monde est informé des différentes procédures de sécurité et du comportement attendu à bord. Nous avons également tous dû enfiler une combinaison de sauvetage, ce qui a parfois donné lieu à des scènes hilarantes.

Sebastiaan, le scientifique en chef de DEHEAT, n’échappe pas non plus à la mise en place de la combinaison de sauvetage 😉 (© IRSNB/K. Moreau)

Ensuite, l’ordre du jour scientifique. Sebastiaan, scientifique en chef, résume la mise en place du projet DEHEAT, en insistant évidemment sur le rôle crucial de l’expédition RV Belgica. Le déroulement et les activités de la première journée d’échantillonnage sont également passés en revue.

Discussion détaillée des plans pour la première journée d’échantillonnage de l’expédition (© IRSNB/K. Moreau)

Le pont, mais aussi les laboratoires du RV Belgica, seront entièrement occupés pendant cette expédition. Une bonne organisation est indispensable pour que tout le monde puisse travailler efficacement. Astrid, responsable des laboratoires, prend donc la parole pour expliquer les procédures et prendre les bonnes dispositions.

Astrid, responsable du laboratoire, explique les procédures de laboratoire (© IRSNB/K. Moreau)

Assez parlé de la première soirée ! Profitons tous de la dernière soirée qui, nous en sommes sûrs, se déroulera dans un environnement stable.

DEHEAT 2023/01 – Utiliser l’océan pour réduire la concentration de dioxyde de carbone dans l’atmosphère

Première mission du RV Belgica dans le Grand Nord

Le 26 juin 2023, une équipe internationale de scientifiques a donné le coup d’envoi de la première mission arctique du nouveau navire de recherche océanographique belge RV Belgica. Ils ont embarqué à Reykjavik, capitale de l’Islande, et passeront 16 jours dans les fjords et sur le plateau continental islandais afin d’étudier les possibilités de réduire la concentration de dioxyde de carbone dans l’atmosphère en favorisant l’altération des silicates dans l’océan. Ce processus pourrait contribuer à contrer activement le réchauffement climatique actuel.

RV Belgica (© Freire Shipyard)

Le changement climatique est l’un des plus grands défis mondiaux du 21e siècle et nécessite d’urgence une action ambitieuse, transformatrice et collective pour limiter le réchauffement de la planète. En 2015, les représentants de 196 pays se sont réunis lors de la conférence des Nations unies sur le climat à Paris et ont signé un accord historique visant à limiter l’augmentation de la température moyenne mondiale à moins de 2 degrés Celsius par rapport aux niveaux préindustriels.

Cependant, les émissions de dioxyde de carbone (CO2) continuent d’augmenter et les concentrations atmosphériques ont atteint des niveaux sans précédent depuis au moins 800 000 ans. L’humanité est arrivée à un point où la prévention des émissions de dioxyde de carbone et d’autres gaz à effet de serre dans l’atmosphère – « l’atténuation conventionnelle » – n’est plus suffisante pour atteindre l’objectif ambitieux. Nous devons également éliminer activement le dioxyde de carbone de l’atmosphère à l’aide de technologies à émissions négatives pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris de 2015.

Amélioration de l’altération des silicates

Une approche prometteuse des technologies d’émissions négatives est l’amélioration de l’altération des silicates (Enhanced Silicate Weathering). Ce processus tire parti de l’altération naturelle des minéraux silicatés, où la dissolution des silicates consomme le dioxyde de carbone de l’atmosphère.

Le concept d’altération marine des silicates consiste à répandre des minéraux silicatés sur les fonds marins des mers côtières. Des expériences récentes ont montré que l’altération pouvait être accélérée de cette manière. L’idée est que la disponibilité accrue des silicates, qui se traduit par une alcalinité plus élevée des océans (une plus grande capacité de l’eau à contrer l’acidification), améliorera l’absorption du dioxyde de carbone, réduisant ainsi les concentrations dans l’atmosphère.

DEHEAT

D’autre part, on ne sait pas si les taux d’altération élevés observés dans les expériences se produisent réellement dans les environnements naturels et quelle serait l’efficacité du processus d’extraction du dioxyde de carbone dans ces environnements. Pour lever ces incertitudes, un groupe de chercheurs de l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique (IRSNB), de l’Université d’Anvers et de l’Université libre de Bruxelles ont uni leurs forces dans le cadre du projet « DEHEAT – Natural analogues and system-scale modelling of marine enhanced silicate weathering » (Analogues naturels et modélisation à l’échelle du système de l’altération marine des silicates).

« Nous voulons étudier pour la première fois la faisabilité et l’efficacité de l’altération des silicates dans des conditions marines en utilisant l’océan côtier comme un réacteur biogéochimique naturel à grande échelle », explique Sebastiaan van de Velde, coordinateur de DEHEAT à l’Université d’Anvers et à l’IRSNB. « Une deuxième question cruciale concerne les effets secondaires possibles sur les écosystèmes marins, qu’ils soient positifs ou négatifs », ajoute-t-il.

Avec RV Belgica vers l’Islande

Pour combler ces lacunes critiques, l’équipe DEHEAT a mis sur pied une expédition scientifique spécialisée à bord du nouveau navire de recherche belge RV Belgica afin de quantifier la géochimie et la minéralogie des sédiments à un endroit qui sert d’analogue naturel pour l’altération améliorée des silicates : le plateau continental de l’Islande, qui est riche en basalte. Le basalte est une roche volcanique dont la teneur en silice et la vitesse d’altération conviennent aux recherches envisagées. L’Islande est donc un endroit idéal pour atteindre les objectifs de DEHEAT.

Sites d’échantillonnage DEHEAT autour de l’Islande pendant l’expédition Belgica 2023 (© Google Maps 2023 – TerraMetrics 2023, DEHEAT)

L’équipe, dirigée par Sebastiaan van de Velde et renforcée par l’expertise scientifique de collègues et d’équipements de l’Université de Gand, du British Antarctic Survey (Royaume-Uni), de l’Université de Bonn (Allemagne), de l’Université du Danemark du Sud (Danemark) et de l’Université de Göteborg (Suède), a embarqué sur le RV Belgica le lundi 26 juin à Reykjavik, la capitale islandaise. Ils passeront 16 jours dans les fjords et sur le plateau continental islandais, avant de rentrer à Reykjavik le 11 juillet 2023.

Au cours de l’expédition, l’équipe internationale et interdisciplinaire prélèvera des échantillons d’eau, forera le fond marin de l’Islande et mesurera les taux d’altération des sédiments, mais appliquera également des modèles informatiques pour simuler les taux d’altération du fond marin autour de l’Islande. Les données recueillies seront ensuite utilisées pour une application virtuelle à grande échelle de l’altération améliorée des silicates dans la mer du Nord belge à l’aide du modèle COHERENS, qui est conçu pour un large éventail d’applications dans les zones côtières et sur le plateau continental et dont le développement est dirigé par les chercheurs de l’IRSNB.

Lors des briefings quotidiens dans la salle de conférence du RV Belgica, Sebastiaan van de Velde (au centre, à l’arrière), chercheur principal du projet DEHEAT, évalue le travail de la journée et informe tous les scientifiques des actions d’échantillonnage et des expériences prévues pour le lendemain.

Une première dans le Nord

La capacité de l’équipe scientifique à mener à bien cette mission tient au fait que le nouveau navire de recherche Belgica est équipé pour une telle recherche interdisciplinaire et dispose d’une autonomie qui lui permet de rester en mer sans interruption pendant une période suffisamment longue. Dès la conception du nouveau RV Belgica, l’un des principaux objectifs était de mettre les eaux arctiques à la portée de la recherche belge et européenne. Dans ce contexte, la documentation et la recherche sur le changement climatique et le développement de mesures d’atténuation du changement climatique étaient des objectifs importants. Pour permettre des opérations au bord de la banquise pendant la saison estivale, le RV Belgica dispose même d’un renforcement léger pour la glace.

Le voyage nordique du RV Belgica vers l’Islande n’est pas un voyage isolé. En effet, le navire a déjà quitté son port d’attache de Zeebruges le 6 juin et a d’abord terminé une expédition dirigée par le Renard Centre of Marine Geology de l’Université de Gand, qui étudiait les processus sédimentaires (passés et présents) au large de la côte sud-ouest de l’Irlande, notamment dans la zone des monticules du Belgica (montagnes sous-marines aux flancs abrupts découvertes avec le Belgica précédent). Après une brève escale à Galway, en Irlande, et un transit vers Reykjavik, la partie DEHEAT de l’aventure internationale a commencé. Le RV Belgica se rendra ensuite au Groenland où une autre équipe scientifique embarquera, dirigée par le groupe de recherche en biologie marine de l’université de Gand. Ils étudieront comment le changement climatique, et plus particulièrement la fonte des glaciers, affectera la dynamique du carbone, les communautés biologiques et le réseau alimentaire dans les fjords du Groenland, un écosystème marin typique de l’Arctique (projet CANOE). Le retour du RV Belgica à Zeebrugge est prévu pour le 13 août.

 

DEHEAT (ainsi que CANOE) est financé par la Politique Scientifique Fédérale (BELSPO) en tant que bénéficiaire d’un appel spécifique destiné à donner un élan au lancement de la recherche sur le nouveau RV Belgica et à permettre aux chercheurs d’apprendre à connaître le navire et son potentiel. DEHEAT se déroule du 15 décembre 2021 au 15 mars 2026.

De plus amples informations sur le RV Belgica peuvent être consultées sur les sites web du navire chez l’IRSNB (y compris les positions en direct et les images de la webcam) et BELSPO. Le navire et ses activités scientifiques peut également être suivi sur Facebook et Twitter.

Surveillance aérienne de la mer du Nord en 2022

En 2022, l’équipe de surveillance aérienne de l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique a effectué 244 heures de vol au-dessus de la mer du Nord. 19 cas de pollution marine opérationnelle par des navires ont été observés dont deux contenant des hydrocarbures et 17 des autres substances nocives. Des taux de soufre suspects ont été relevés dans les panaches de 47 navires ainsi que des taux d’azote suspects pour 35 navires. L’avion a également participé avec succès à une surveillance coordonnée au niveau international des installations pétrolières et gazières et à une mission internationale concernant la détection de pollutions chimiques. En outre, deux recensements saisonniers des mammifères marins ont été réalisés. Enfin, l’avion a également effectué quelques vols sur appel (“on call flight”) à des fins, entre autre, de soutien à une opération de sauvetage de transmigrants en mer. Les infractions à la navigation, l’entrée dans des zones interdites et la navigation sans le système d’identification automatique obligatoire ont été davantage signalées en 2022 qu’auparavant.

L’avion de surveillance belge en action au-dessus du navire P902 POLLUX durant un exercice national de lutte contre la pollution POLEX. (© Composante Marine de la Défense)

Dans le cadre du programme national de surveillance aérienne, 244 heures de vol ont été effectuées au-dessus de la mer du Nord en 2022. Ce programme est organisé par le service scientifique de l’UGMM (Unité de gestion du Modèle Mathématique de la mer du Nord) de l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique, en collaboration avec la Défense.

La majorité des heures de vol ont constitué des vols nationaux (220 heures). Parmi celles-ci, 211.5 heures ont été prestées dans le cadre des missions de la Garde côtière belge. Le contrôle de la pollution est arrivé sans conteste à la première place des heures prestées (164 heures) avec à la fois la surveillance des rejets d’hydrocarbures, d’autres substances liquides nocives et d’ordures (respectivement annexes I, II et V de MARPOL) mais également le contrôle des émissions de soufre et d’azote provenant des navires dans l’air (application de l’annexe VI de MARPOL). En plus du contrôle de la pêche qui a également été traité (42.5 heures à la demande du service flamand « Dienst Zeevisserij »), l’avion a été mobilisé à plusieurs reprises pour vérifier la pollution marine, pour soutenir les opérations de sauvetage de transmigrants dans les eaux françaises et pour localiser du matériel de recherche et de sauvetage perdu (3 heures), et deux heures d’appui aérien ont été fournies lors d’exercices de contrôle de la pollution. Huit heures et demie ont par ailleurs été consacrées à la surveillance des mammifères marins.

Les vols internationaux, dans le cadre de l’accord de Bonn ont représenté 24 heures de vol en 2022 (voir ci-dessous : une mission Tour d’horizon et la participation aux essais en mer MANIFESTS).

Déversements par les navires

En août 2022, quelques nappes de pétrole ont été observées lors de plusieurs vols dans les eaux britanniques à hauteur de Ramsgate. Ces nappes provenaient apparemment d’une fuite dans la citerne de carburant d’une vieille épave immergée. Ce cas a donc été qualifié de déversement accidentel et plusieurs navires britanniques se sont chargés du nettoyage. Il n’y a pas eu d’impact direct sur les eaux belges.

Deux déversements opérationnels d’hydrocarbures ont été recensés en 2022 ce qui confirme la tendance baissière de ces observations durant la dernière décennie (voir graphique ci-dessous). La première pollution par hydrocarbures a été observée déjà très altérée dans l’embouchure de l’Escaut occidental dans les eaux néerlandaises. La nappe d’hydrocarbures n’a pas pu être combattue et n’a pas pu être reliée à un quelconque pollueur. La deuxième nappe d’huile était plus limitée et a été observée dans la zone d’ancrage du Westhinder. Elle semblait être liée à un vraquier au mouillage. Un contrôle en mer par la police de la navigation n’a pas amené de nouveaux éléments qui auraient pu confirmer la suspicion d’infraction.

Le nombre de déversements d’hydrocarbures observés par heure de vol est tombé à presque zéro. (@ IRSNB/UGMM)

En 2022, aucune violation de l’annexe V de la convention MARPOL concernant le rejet d’ordures et de matériaux solides en vrac n’a été détectée. Par contre, pas moins de 17 cas de pollution opérationnelle par des substances liquides nocives autres que des hydrocarbures (MARPOL Annexe II) ont été observés. Un de ceux-là a pu être mis en lien avec un navire dans les eaux britanniques. Le dossier a été transféré aux autorités britanniques compétentes pour vérification et suivi ultérieur.

Au contraire des déversements d’hydrocarbures, la pollution par des substances liquides nocives reste un problème courant qui semble même être en légère hausse (voir graphique). Il s’agit souvent, mais pas toujours, de rejets autorisés par les navires, conformes aux normes internationales de rejet. Depuis 2021, des normes de rejet plus strictes sont entrées en vigueur, notamment pour ce que l’on appelle les « flottants persistants », tels que les substances apparentées à la paraffine. Aucune infraction n’a cependant été détectée à leur sujet en 2022.

Les pollutions avec d’autres substances nocives suivent une légère tendance à la hausse. (@ IRSNB/UGMM)

Trois nappes de pétrole ont également été identifiées dans les ports belges : deux dans le port d’Anvers-Bruges et une dans celui d’Ostende. Les deux nappes de pétrole dans le port d’Anvers ont été observées lors de vols de transit entre l’aéroport d’Anvers (la base d’attache de l’avion) et la mer du Nord. L’une de ces deux détections impliquait un groupe de trois taches plus petites avec cinq navires différents à proximité. Les taches n’ont pu être clairement reliées à aucun de ces navires. L’autre nappe a été repérée au niveau du terminal gazier d’Anvers-Bruges lors d’une opération de soutage. Une nappe de pétrole a également été observée dans le port d’Ostende en 2022. Il s’agissait alors d’une petite nappe sans pollueur et trop limitée pour pouvoir être combattue. Toutes ces observations ont immédiatement été signalées aux autorités compétentes afin d’en assurer le suivi.

Pollution par hydrocarbures dans le port d’Anvers. (© IRSNB/UGMM)

Surveillance des émissions des navires en mer

Grâce à l’utilisation d’un capteur renifleur dans  l’avion, notre pays est considéré comme un pionnier dans la lutte internationale contre la pollution atmosphérique par les navires en mer (surveillance et mise en application de l’annexe VI  de la convention MARPOL). Le capteur permet en effet de mesurer sur le terrain différents polluants atmosphériques dans l’échappement des navires.

La mesure des émissions de soufre fait déjà partie du programme depuis 2016. Afin de contrôler les limites strictes de soufre qui s’appliquent au carburant des navires dans la zone de contrôle des émissions de soufre de la mer du Nord  (emission control area ou ECA), 61 vols-renifleurs (pour un total de 91 heures) ont été effectués par l’avion en 2022 au-dessus de la zone de surveillance belge. Sur les 965 navires dont les émissions de soufre ont été mesurées, 47 présentaient une teneur en soufre élevée et suspecte. Ces navires ont été dûment signalés aux services d’inspection maritime compétents et 13 ont ensuite été inspectés à terre.

L’avion de surveillance en action lors d’un vol ‘sniffer.’ (© IRSNB/UGMM)

Grâce à l’intégration réussie d’un capteur de NOx en 2020, l’avion de l’UGMM peut également mesurer les concentration de composés azotés (NOx) dans les panaches de fumée des navires afin de surveiller et faire respecter les limites plus strictes qui s’appliquent depuis le 1er janvier 2021 dans la zone de contrôle des émissions de la mer du Nord. La Belgique est ainsi devenue le premier pays prêt à assurer le suivi de ces restrictions plus strictes. Sur les 963 navires pour lesquelles les émissions d’azote ont été contrôlées en 2022, 35 valeurs suspectes ont été signalées.

Depuis 2021, un nouveau capteur de carbone noir a été ajouté à la configuration du renifleur. Ce capteur mesure le carbone noir, qui est une mesure de la concentration de suie dans les émissions des navires. La concentration en suie de 182 navires a été mesurée en 2022. Dans le cas de mesures de concentrations de suie exceptionnellement élevées, les autorités portuaires maritimes compétentes sont invitées à prélever un échantillon du carburant utilisé. En 2023, ces échantillons de carburant seront analysés dans le laboratoire éco-chimique de l’IRSNB.

Panache de fumée d’un navire porte-conteneurs. (© IRSNB/UGMM)

Missions internationales

Lors de la mission internationale annuelle « Tour d’Horizon » de surveillance de la pollution marine provenant des plateformes de forage dans la partie centrale de la mer du Nord (dans les eaux offshore néerlandaises, danoises, britanniques et norvégiennes), effectuée dans le cadre de l’accord de Bonn en septembre 2022, l’avion de surveillance a détecté un total de 16 pollutions. 15 de celles-ci consistaient en une pollution par hydrocarbures en plus desquelles une détection d’une substance inconnue n’a pas pu être vérifiée visuellement en raison d’un plafond nuageux trop bas. 13 pollutions ont pu être liées directement à une plateforme pétrolière. Les trois nappes restantes ont été observées sans navire ou plateforme à proximité. Toutes ces observations ont été systématiquement rapportées à l’Etat côtier compétent pour suivi ultérieur.

Pétrole lié à une plateforme de forage lors de la mission Tour d’Horizon en 2022. (© IRSNB/UGMM)

L’équipe a participé du 30 mai au 2 juin aux MANIFESTS Sea Trials en Bretagne (France) pour la détection des pollutions de nature chimique. La participation à de tels exercices internationaux est cruciale considérant que la pollution par d’autres produits chimiques en mer est en constante augmentation (voir plus haut), qu’un grand nombre de produits chimiques différents sont transportés, avec chacun un comportement spécifique en mer et que les réglementations sont très complexes (annexe II de MARPOL). Lors des MANIFESTS Sea Trials, plusieurs capteurs ont pu être testés pour déterminer leur capacité à identifier différentes substances.  L’avion de surveillance a pu contribuer de manière constructive à la collecte des données. Il appartient maintenant aux scientifiques d’optimiser les capteurs afin de mieux surveiller les rejets chimiques à l’avenir.

La mission en Bretagne a été combinée avec une surveillance des émissions atmosphériques à la frontière de la zone ECA, à l’entrée de la Manche. Les navires y doivent basculer vers des carburants à faible teneur en soufre. Au total, 62 navires ont été contrôlés parmi lesquels 18 à proximité immédiate de la frontière. Six des 18 navires contrôlés à la frontière présentaient des taux de soufre suspects et deux des émissions de NOx élevées.  Ces résultats préliminaires montrent qu’une surveillance accrue à la frontière de la zone ECA est nécessaire afin d’améliorer l’application de l’annexe VI de la convention MARPOL.

Une nappe de produits chimiques. (© IRSNB/UGMM)

Suivi des mammifères marins

En 2022, l’IRSNB a réalisé des recensements de mammifères marins en mars et en octobre. Respectivement, 235 et 45 marsouins ont été observés ce qui résulte en des concentrations moyennes de 3.3 et 0.8 animaux par km² de surface observée. Cela représente beaucoup de marsouins pour une surface semblable à celle des eaux belges, tout en les chevauchant largement: plus de 11.000 en mars et plus de 2.000 en octobre. Un nombre relativement élevé de phoques ont également pu être observés en 2022: 20 en mars et 40 en octobre. Jamais il n’y en a eu autant.

Observations lors de la campagne de mars 2022 : marsouins en rouge et phoques en jaune. (© IRSNB/UGMM)

Surveillance maritime élargie dans le cadre de la Garde côtière

Dans le cadre de la coopération au sein de la Garde côtière, l’avion de surveillance contribue également à des missions plus larges de mise en application de la réglementation maritime et de la sécurité en mer. Ainsi, les opérateurs aériens ont signalé, en 2022, 46 infractions à la navigation en mer à la centrale de la Garde côtière et à la Direction-générale de la Navigation (SPF Mobilité et Transport). Il s’agit ici principalement de navires qui naviguent à contresens ou qui vont au mouillage dans les routes de navigation. Vu le nombre croissant de ce type d’infractions et par conséquent le risque accru de collisions, la Direction-générale de la navigation assure un suivi juridique spécifique à ce sujet depuis janvier 2023.

En outre, 11 infractions liées à l’intrusion dans des zones entourées d’un périmètre de sécurité (par exemple autour des parcs éoliens). Ce chiffre est en hausse lui-aussi, ce qui peut s’expliquer en partie par l’introduction de quelques nouvelles zones interdites, telles que la ferme aquacole au large de Nieuport et la zone d’étalonnage des instruments scientifiques (à hauteur d’Ostende).

Intrusion de trois navires de pêche dans le périmètre de sécurité de la tour radar du Oostdyck. (© IRSNB/UGMM)

Finalement, en 2022, pas moins de 17 navires ont été observés sans AIS, un système automatique d’identification qui permet, entre autres, d’éviter les collisions. Dans 16 de ces cas, il s’agissait de navires de pêche. Ici également, on peut déplorer une tendance à la hausse.

SEADETECT : Réduire les collisions entre les navires et les baleines

Dans le cadre du projet SEADETECT financé par le programme LIFE de l’Union européenne, l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique contribuera au développement et à la validation d’un système de détection automatique des mammifères marins pour prévenir les collisions entre les navires et les cétacés.

Un rorqual commun reste coincé sur le bulbe d’étrave d’un navire après une collision, arrivant avec lui dans le port de Gand en novembre 2015. (© IRSNB/J. Haelters)

Aujourd’hui, l’économie mondiale repose principalement sur le trafic maritime qui représente 80 % du commerce mondial en volume et 70 % en valeur. Ce trafic intense implique un nombre croissant de navires se déplaçant de plus en plus vite sur les mers et les océans du monde, ce qui augmente considérablement le risque de collision avec les cétacés.

Les collisions entre les navires et les baleines entraînent souvent la mort des animaux. Au cours des dernières décennies, le trafic maritime, combiné à l’augmentation de la vitesse des navires, a entraîné un doublement du nombre de collisions mortelles. Plusieurs études ont montré que les collisions avec les navires sont la principale cause de mortalité des cétacés dans certaines régions. Par exemple, les collisions avec les navires sont la principale forme de mortalité des rorquals communs et des cachalots dans le Sanctuaire Pelagos en Méditerranée, une zone pour laquelle la France, Monaco et l’Italie ont conclu un accord de protection des mammifères marins.

Dans l’Arctique, le changement climatique devrait entraîner une exposition accrue des espèces de cétacés vulnérables au risque de collision. À l’échelle mondiale, la réduction de la mortalité due aux collisions profitera aux populations de baleines qui se remettent encore des effets de la surchasse historique et continuent de souffrir de la dégradation de l’habitat causée par l’homme.

Face à cette situation, le projet SEADETECT développe une nouvelle solution qui devrait permettre aux navires de réduire de 80 % les collisions avec les cétacés.

Prévenir les collisions entre les navires et les baleines

Les collisions sont souvent dues à la combinaison de trois facteurs : la capacité de détection, le temps de réaction de l’équipage et le temps nécessaire pour manœuvrer le navire, qui dépendent tous de la taille et de la vitesse du navire et de l’état de la mer. Le projet SEADETECT développera trois systèmes pour réduire ces collisions :

  • Un système à bord des navires qui détectera en temps réel les objets non identifiés, en particulier les mammifères marins.
  • Un réseau de bouées de surveillance acoustique passive situées dans les zones à risque en mer qui déterminera et triangulera la position des cétacés en temps réel.
  • Un logiciel de partage des données de détection, alimenté par les détections, pour informer les navires dans la zone des risques de dangers.
Schéma du projet SEADETECT pour la détection automatisée des mammifères marins et des obstacles, et système anti-collision pour les navires. (© SEADETECT)

Le RV Belgica comme plateforme d’essai

« Le système de détection automatique et d’anticollision sera utilisé dans l’infrastructure multisensorielle existante du navire national de recherche océanographique RV Belgica et sera validé par les scientifiques de l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique au cours des expéditions et des campagnes de surveillance du navire. » clarifie Bob Rumes de l’équipe de d’écologie et de gestion marine de l’IRSNB (MARECO).

Le système de détection automatique et d’anticollision détectera de manière autonome les cétacés, mais aussi les obstacles ou les objets flottants tels que les conteneurs, afin d’éviter les collisions avec les navires. Grâce à un système performant de fusion et de traitement des données, cette solution permettra de détecter en temps réel un objet de 2 mètres de long en surface à une distance de 1 km, de jour comme de nuit, même dans des conditions maritimes complexes (forts états de mer ou mauvaises conditions météorologiques). Par ailleurs, les chercheurs étudieront également l’impact d’une application générale de ce système de détection et d’anti-collision sur plusieurs espèces cibles comme alternative à d’autres mesures possibles.

Le RV Belgica sera également utilisé comme plate-forme d’essai dans le cadre de SEADETECT. (©Belgian Navy/J. Urbain)

Le projet SEADETECT, coordonné par Group Naval (FR), durera quatre ans et réunira dix partenaires de trois pays européens : Belgique, France et Italie. De plus amples informations sont disponibles sur le site web du projet : https://life-seadetect.eu/ .

Le programme LIFE est un instrument financier de la Commission européenne destiné à soutenir des projets privés et publics innovants dans les domaines de l’environnement et du climat.