Une journée n’est pas l’autre

Il gèle ce lundi 8 février à la frontière entre l’Europe et la Turquie. La journée est consacrée au comptage des oiseaux d’eau – cygnes, oies, canards, limicoles et autres mouettes – ainsi que des rapaces qui hivernent dans le Parc National du Delta de l’Evros. Parmi ces derniers, ont été observés ce jour: 2 Pygargues à queue blanche, 2 Aigles impériaux, une vingtaine d’Aigles criards, une soixantaine de Buses variables et autant de Busards des roseaux, un Faucon pèlerin, une quinzaine de Faucons crécerelles, une dizaine d’Eperviers d’Europe. Les 2 Buses pattues découvertes avant-hier n’ont pas été retrouvées.

Deux Aigles criards posés sur un tamarix dans les marais de Dimitriades, 04/12/2005 (photo Didier Vangeluwe)
Deux Aigles criards posés sur un tamarix dans les marais de Dimitriades, 04/12/2005 (photo Didier Vangeluwe)

Les Cygnes de Bewick sont bien entendu toujours sous étroite surveillance et l’observation de l’arrivée au dortoir débute à 16:00 depuis la digue qui sépare la lagune de Drana et le marais de Dimitriades. Sept Cygnes tuberculés somnolent au milieu de la zone où s’étaient rassemblés vendredi passé quelques 8500 cygnes des trois espèces. Aucun mouvement ou presque jusqu’à 17h15, au moment où le jeune Aigle impérial observé dans la matinée survole la zone en direction des collines de Loutros où est situé son dortoir. 17:30, arrivée des premiers 8 Cygnes de Bewick. Les 12 suivants arrivent à 17:35. A 17:46, il pleut des Casarcas roux. 17:58 une escadrille de 28 Cygnes de Bewick se pose délicatement sur l’eau. 18:08, il fait complètement noir, fin du comptage. Le total se porte à 48 Cygnes de Bewick. Hier, ils étaient 1240, avant-hier, 1400, vendredi 8400 ! Les Cygnes de Bewick hivernant dans le delta de l’Evros ont-ils débuté leur migration de printemps vers la toundra de Sibérie ?

Les données transmises par le cygne 854X équipé d’un émetteur GPS à Yamal permet d’interpréter ces différences. L’analyse des positions de 854X à 02:00 du matin indique qu’il y a plus d’un dortoir dans le Delta de l’Evros. Entre le 12 décembre 2015, date de son arrivée en Grèce et le 12 janvier 2016, 854X a utilisé 8 dortoirs différents, 4 situés en Grèce et 4 en Turquie. Au cours de ce premier mois, il a dormi à 23 reprises en Grèce et à 8 en Turquie. Il y a donc manifestement une répartition différente des cygnes entre les dortoirs et entre les nuits. On ignore exactement pourquoi, mais on peut postuler que les conditions météorologiques représentent un facteur important. Et ceci est une première explication aux variations des dénombrements.

Localisation (étoiles) des sites de dortoir du Cygne de Bewick 854X équipé d'un émetteur GPS; le point rouge indique le dortoir des marais de Dimitriades, (carte Nicolas Pierrard).
Localisations (étoiles) des sites de dortoir durant la période du 12/12/2015-12/01/2016 du Cygne de Bewick 854X équipé d’un émetteur GPS; le point rouge indique le dortoir des marais de Dimitriades, (carte Nicolas Pierrard).

Un autre paramètre explique ces disparités de comptage au dortoir de Dimitriades : le timing de départ des sites de gagnage. Les localisations GPS de 854X et les observations au télescope nous indiquent que ceux-ci sont quasi exclusivement situés dans la partie Turque du Delta. Une visite y est d’ailleurs prévue dans les jours prochains.

Aujourd’hui, 854X était encore en Turquie à 19:00. Considérant qu’il fait noir à 18:10, il est donc arrivé dans l’obscurité et n’a en conséquence pu être détecté et donc comptabilisé. Hier 7 février, il a été localisé à 19:00 à 7 km à l’Est du dortoir ; il était très probablement en vol vu la localisation. Idem qu’aujourd’hui donc, il arrivé au dortoir dans l’obscurité et n’a pu être compté. Avant-hier, il était encore en Turquie à 18:00 et au dortoir à 19:00. Il est rentré un peu plus tôt mais est quand même arrivé après ou juste après l’obscurité. Et le 5 février, l’histoire est déjà connue, 854X et des milliers de congénères ont passé toute la journée au dortoir de Dimitriades, ils n’ont simplement pas été ce nourrir ce jour. Ce qui a permis ce comptage record.

Tout cela n’a pas aidé à retrouver le cygne à collier jaune observé, mais pas déchiffré, le 5 février. Il reste introuvable !

Encore plus de Cygnes de Bewick dans le Delta de l‘Evros

Les conditions météo ont rapidement évolué dans le Delta de l’Evros, c’est chose fréquente. Depuis la nuit passée, le vent souffle au NNE, en rafales atteignant 70 km/h. Il a plu très abondamment toute la nuit et une partie de la journée. Les sommets des collines bordant la vallée sont recouverts de neige tant du côté grec que turc. La température tourne autour de 3-4 °C.

Les données reçues toutes les heures en provenance du Bewick 854X équipé d’un émetteur GPS/GSM indiquent que celui-ci n’a pas quitté la lagune sur laquelle il a passé la nuit précédente. Il n’est donc pas allé se nourrir de l’autre côté de la vallée, en Turquie, comme il le fait pourtant tous les jours depuis son arrivée dans le Delta. Lui est-il arrivé quelque chose ? Ou joue-t-il, comme espéré, le rôle de sentinelle qui nous permet de détecter des phénomènes plus larges ?

16h00, direction la lagune de Drana et la zone des marais de Dimitriades pour voir ce qu’il se passe. La piste est particulièrement boueuse, mais cela passe. Et au bout, le spectacle est unique : nous sommes face à une mer de cygnes. La plupart ont la tête rentrée dans le plumage, ceux qui ne l’on pas font face à la tempête, arc-boutés. Certains sont dans l’eau mais tout contre la rive afin d’éviter d’être emportés par les vagues. D’autres sont au sec, sur les parties hautes du marais salant. Ils sont en majorité couchés pour offrir le moins de résistance possible aux rafales. C’est un spectacle unique, autant de cygnes, dans de telles conditions météorologiques et dans de tels biotopes naturels.

Part of the record flock of Bewick's Swan observed in the Evros Delta, 05/02/2016 (photo Didier Vangeluwe).
Partie de la bande record de Cygnes de Bewick observée dans le Delta de l’Evros , 05/02/2016 (photo Didier Vangeluwe).

Nous estimons le nombre de Cygnes de Bewick à 8400, auxquels il faut ajouter une centaine de Cygnes sauvages et une cinquantaine de Cygnes tuberculés. C’est un nouveau maximum pour le site. Mais que se passe-t-il dans le Delta de l’Evros ? D’où viennent ces Cygnes de Bewick ? De Yamal comme 854X ? Ou d’autres régions de la toundra de Sibérie ? Les collègues russes sont particulièrement attentifs aux résultats, le Cygne de Bewick est un nicheur endémique de Russie. Il bénéficie de toute l’attention des autorités et des scientifiques en charge de la conservation de la Nature en Fédération de Russie.

Bewick's Swan marked with a yellow neckcollar originating from the Netherlands, Dimitriades area 05/02/2016 (photo Didier Vangeluwe).
Cygne de Bewick marqué avec un collier jaune en provenance des Pays-Bas, marais de Dimitriades 05/02/2016 (photo Didier Vangeluwe).

En observant et observant encore cette immense bande, notre attention est attirée par un cygne qui se toilette malgré le vent violent. Il étend son cou, lisse, ou plutôt essaie de lisser ses plumes. Il est marqué d’un collier jaune gravé d’un code permettant une identification à distance. C’est le quatrième Cygne de Bewick marqué que nous observons dans le Delta de l’Evros. Celui-ci a certainement été bagué aux Pays-Bas par des collègues de l’Institut Néerlandais d’Ecologie. Malgré tous nos efforts, impossible de déchiffrer le code : nous ne parvenons pas à nous rapprocher plus près que 750 m, la luminosité faibli avec la nuit qui tombe, le vent fait vibrer les télescopes. Nous y retournerons demain afin d’essayer de le retrouver !

L’incroyable Delta de l’Evros

5100, 5300, peut-être même 6000 ! C’est le nombre de Cygnes de Bewick qui a été dénombré ces derniers jours par les ornithologues qui travaillent pour le Parc national du Delta de l’Evros. Le précédent record était fixé aux alentours de 4500 individus recensés au cours de l’hiver passé. Le nombre de Bewick qui hivernent en Grèce progresse donc encore alors que dans le même temps les effectifs observés dans les zones traditionnelles situées autour du sud de la mer du Nord sont au plus bas.

Cygnes de Bewick quittant le dortoir de la lagune de Drana dans le Delta de l'Evros, 02/02/2016 (photo Didier Vangeluwe)
Cygnes de Bewick quittant le dortoir de la lagune de Drana dans le Delta de l’Evros, 02/02/2016 (photo Didier Vangeluwe).

Ce n’est pas une tâche facile que de compter les cygnes dans l’Evros. En effet, le delta est partagé entre la Grèce et la Turquie, ce qui rend malaisé les comptages coordonnés considérant par ailleurs que du côté turc, il n’y a pas d’équipe d’ornithologues sur place. Une partie de delta est d’ailleurs sous contrôle militaire et ne peut donc être visitée que ponctuellement et de manière très contrôlée. En plus, la zone de présence des cygnes est très vaste, environ 350 km², dont une partie est inaccessible lorsque le débit du fleuve est tellement important que les rives sont inondées à plusieurs centaines de mètres du lit normal. Enfin, les Cygnes de Bewick ne sont pas les seuls représentants de leur genre à hiverner dans le Delta de l’Evros, c’est également le cas de milliers de Cygnes tuberculés (en provenance des steppes – ou anciennes steppes – d’Ukraine et du sud de la Russie) et de Cygnes sauvages (très probablement originaires de la taïga de Sibérie). Les comptages sont donc souvent lents et malaisés car il s’agit de bien distinguer les trois espèces. Mais l’équipe grecque est particulièrement expérimentée, alternant, sur son territoire et tout au cours de l’hiver, comptages le jour chaque semaine et comptages le soir, à l’arrivée au dortoir, toutes les deux semaines.

A partir d’aujourd’hui, et pour 10 jours, les équipes grecques et belges se retrouvent dans le Delta afin d’étudier ensemble le comportement des cygnes, leur répartition entre les différentes lagunes, leur démographie en déterminant la proportion de jeunes et la taille des familles. L’objectif est également d’aller observer chaque site où a été localisé depuis son arrivée le 12/12/2016, le Bewick 854X, équipé d’un émetteur GPS le 14/07/2015 dans la toundra de Yamal (Sibérie). Cela permettra de déterminer précisément les habitats utilisés par ce «cygne sentinelle» ainsi que leur importance relative et donc de disposer de données utiles à assurer la conservation de l’espèce par, le cas échéant, des mesures de gestion adaptées. L’intervalle de localisation de l’émetteur a été fixé à 1h à compter d’aujourd’hui. Cela permettra d’obtenir des données encore plus précises au cours des jours qui viennent. Cette procédure sera limitée dans le temps car elle est évidemment coûteuse en énergie et risquerait d’épuiser la batterie solaire.

Le soleil est au beau fixe dans l’Evros aujourd’hui, la température diurne oscille entre 10-15°C. Il s’avère que quasi tous les Cygnes de Bewick sont partis se nourrir en Turquie et qu’en plus, ils n’ont quitté qu’après la tombée de la nuit leurs sites de gagnage pour rallier les lagunes où ils passent la nuit du côté grec. A peine 150 individus ont donc pu être dénombrés ce soir à l’arrivée au dortoir. Par contre, à 16:48 et ensuite à 17:11 c’est dans un ronronnement assourdissant qu’en deux vagues compactes, 4500 Tadornes casarcas sont arrivés pour dormir dans les marais situés juste au sud de la lagune de Drana. Cela se passe dans le Delta de l’Evros, et au niveau européen, uniquement dans le Delta de l’Evros !

Quelqu'uns des 4500 Tadornes casarcas rejoingant le dortoir, 02/02/2016 (photo Didier Vangeluwe)
Une partie des 4500 Tadornes casarcas rejoignant leur dortoir à côté de la lagune de Drana, 02/02/2016 (photo Didier Vangeluwe).

Rendez-vous sur place demain à 06:30, avant le lever du soleil, afin de voir si les cygnes sont bien venus dormir en Grèce et de de les compter, si possible. Et peut-être aussi d’observer 854X !

Un déclin de 30 % !

Le Cygne de Bewick est vraiment un oiseau magnifique. Il est élégant, gracieux. Son comportement social est fascinant à observer. Les parents s’occupent de leurs jeunes pendant près d’une année, ils migrent, hivernent ensemble. Les relations entre adultes sont complexes. Ils communiquent souvent entre eux par des cris très mélodieux.

Groupe de Cygnes de Bewick dans un champ, Ede 30/12/2015.
Groupe de Cygnes de Bewick dans un champ, Ede 30/12/2015 (photo Didier Vangeluwe).

Ils s’intimident parfois, ouvrant les ailes, dressant le cou, se poursuivant. Ils alternent périodes de nourrissage et de repos. De loin, dans un polders de Flandres ou des Pays-Bas, on dirait des flocons d’un blanc immaculé. Mais le soir, invariablement, ils s’envolent en escadrille bien structurée pour rejoindre leur dortoir situé sur une large étendue d’eau, parfois située à des dizaines de kilomètres de leur site de gagnage. Autant ils sont (relativement) tolérants aux activités humaines durant la journée, autant une fois l’obscurité arrivée, ils sont sur leurs gardes et cherchent à se protéger des prédateurs en se réfugiant sur l’eau.

Départ vers le dortoir, Ede 30/12/2015.
Départ vers le dortoir, Ede 30/12/2015 (photo Didier Vangeluwe).

Une situation idyllique ? Pas vraiment. Le nombre de Cygnes de Bewick hivernant dans la région de la mer du Nord (d’Est en Ouest en Pologne, Allemagne, Danemark, Allemagne, Pays-Bas, Belgique, Iles britanniques) a chuté de 30 % entre l’hiver 1994-1995 et l’hiver 2009-2010. Les données du dernier comptage global réalisé il y a un an (en janvier 2015) ne sont pas encore disponibles. Il semble que la tendance négative se poursuive.

evolution du nombre de Cygnes de Bewick hivernant dans la région de la mer du Nord
Evolution du nombre de Cygnes de Bewick hivernant dans la région de la mer du Nord et dans le delta de l’Evros (Grèce).

Quelles sont les raisons de cette chute que l’on peut qualifier de catastrophique ? On l’ignore largement. Mais on observe plusieurs faits inquiétants: les Cygnes de Bewick qui hivernent dans la région de la mer du Nord ont peu de jeunes en comparaison avec les populations qui hivernent en Chine et en Grèce. Au cours des 10 derniers hivers, la proportion moyenne de jeunes s’élève à 10,4 %. Le maximum enregistré a été de 16,6% durant l’hiver 2012/2013 et le minimum de 4,7% (ce qui est vraiment très peu !) durant l’hiver 2007/2008. Ces données ont été récoltées largement grâce à des centaines d’ornithologues volontaires qui comptent et observent les cygnes chaque hiver. Par ailleurs, les ornithologues britanniques du célèbre Wildfowl & Wetland Trust ont fait un constat interpellant. Depuis 2000, ils ont radiographié 47 Cygnes de Bewick en marge d’opérations de baguage réalisées en Angleterre. Parmi ceux-ci, 22,7 % contenaient des plombs de chasse. On peut en déduire que malgré leur statut d’espèce strictement protégée dans l’Union européenne et en Russie, les Cygnes de Bewick sont encore régulièrement braconnés. Enfin, et ici ce sont les ornithologues néerlandais de l’Institut d’Ecologie de Wageningen qui sont en pointe, on observe que les Cygnes de Bewick changent régulièrement de source d’alimentation au cours des derniers hivers et que la plupart de celles-ci sont liées aux activités humaines : prairies, labours de betteraves, de pommes de terre, éteules de maïs. Ce comportement est-il indicateur d’une situation instable, défavorable aux cygnes ? Les études sont en cours. Et puis, il y cette arrivée, progressive mais rapide, de milliers de Cygnes de Bewick dans le Delta de l’Evros en Grèce. Y a-t-il un lien de cause à effet avec la diminution des cygnes dans la région de la mer du Nord? S’agit-il d’un déplacement de population ? Est-ce une bonne – ou une mauvaise nouvelle ? C’est ce qu’essaient de comprendre les partenaires belges, russes et grecs de ce programme.

Nous devons comprendre rapidement ce qu’il se passe !

Il l’a fait !

Le Bewick 854X qui stationnait dans le liman de Beisug, sur la côte orientale de la mer d’Azov (Russie) est arrivé dans le Delta de l’Evros (Grèce)! Incroyable mais vrai, dès cette première année du programme de recherche, nous avons percé le mystère de la voie de migration qui unit le nouveau site d’hivernage grec à la toundra de Sibérie où nichent le Cygne de Bewick.

Revenons aux évènements des derniers jours. 854X a quitté le liman de Beisug le 10/12/2015 vers 08h00, aux alentours du lever du jour donc. Il y était en halte depuis 51 jours. Il vole plein ouest au-dessus de la mer, traverse la Crimée à la hauteur des lagunes de Sivash, atteint la mer Noire dans la baie de Karkinitsky, oblique alors vers le sud-ouest en longeant la côte occidentale de la Crimée, survole ensuite en ligne droite la mer jusqu’à arriver à la côte de la Bulgarie à la hauteur de la zone Natura 2000 de Durankulak, à quelques kilomètres de la frontière avec la Roumanie.

La zone NATURA 2000 de Durankulak est un site d'hivernage très important pour les Bernaches à cou roux, 11/02/2012 (photo Didier Vangeluwe)
La zone NATURA 2000 de Durankulak en Dobroudja bulgare est un site d’hivernage très important pour les Bernaches à cou roux, 11/02/2012 (photo Didier Vangeluwe).

Après 40 km de survol de la Dobroudja, il se réoriente vers le sud, retrouve la mer à la hauteur de la Baie de Kavarna et s’y pose, à 300 m à peine de la côte et des clubs de vacances. Il est environ 01h00 du matin. Cette première étape a duré 17 heures durant lesquelles 854X a parcouru au minimum 880 km avec très probablement un seul court arrêt, près de la réserve naturelle (zapovednik) de Lebaj en Crimée. La vitesse de vol maximale calculée est de 91.6 km/h sur une période de trois heures.

La deuxième étape débute le 11/12/2015 vers 08h00 également. 854X se dirige vers l’intérieur des terres, en direction du sud-ouest,. Il parcourt 95 km. Vers midi, il change de cap et vole vers le nord-est sur 45 km. Nouveau changement d’orientation vers 15h00 en direction du sud-est et arrêt sur un petit lac vers 18h00, près de la ville de Blagovo. Il y passera la nuit. Manifestement 854X a connu un problème d’orientation, il aura parcouru ce jour à peine 200 km. Mais il a réussi à compenser son déroutement et à retrouver son cap car le matin suivant, il file d’abord vers le sud-sud-est sur 23 km et ensuite plein sud sur 270 km. Il survole la Bulgarie, la Turquie, entre en Grèce à la hauteur de la ville d’Orestiada où il rejoint la vallée du fleuve Evros. A 15h00, le 12/12/2015, 854X est localisé sur la lagune de Paloukia, au milieu du Parc National du Delta de l’Evros.

Cygnes tuberculés et de Bewick sur la lagune de Paloukia, 06/02/2011 (photo Didier Vangeluwe)
Cygnes tuberculés et de Bewick sur la lagune de Paloukia, 06/02/2011 (photo Didier Vangeluwe).

Cela fait 93 jours qu’il a quitté la toundra de Yamal. Il a parcouru quelques 5700 km, sans compter les déplacements locaux lors des périodes de halte. Il a survolé la Russie, le Kazakhstan, l’Ukraine, la Bulgarie, la Turquie et enfin la Grèce.

Pendant ce temps, trois autres Cygnes de Bewick bagués dans la toundra de Yamal ont toujours sur le lac Poyang, à 400 km de la côte de la mer de Chine et à 7900 km du Delta de l’Evros !

Une autre route vers… la Chine !

L’objectif de ce programme est de comprendre comment et pourquoi, en quelques années, des milliers de Cygnes de Bewick ont décidé de passer l’hiver dans le Delta de l’Evros et au-delà d’espérer contribuer à comprendre pourquoi la population qui hiverne dans la région du sud de la mer du Nord décline inexorablement depuis 15 ans. Mais les premiers résultats sont … totalement inattendus !

Les localisations transmises toutes les 3 heures par les émetteurs embarqués par les Cygnes de Bewick bagués dans la péninsule de Yamal en août 2015 sont visibles en se connectant à l’application géographique via le lien juste au-dessus de ce post.

Les deux premiers Cygnes de Bewick quittent la toundra de Yamal le 11/09/2015. Il s’agit des cygnes 843X et 854X, tous les deux sont des mâles immatures. Les 3 suivants prennent la direction du sud les 14, 19 et 22 septembre. Aucune transmission n’a été reçue jusqu’à présent de l’émetteur du sixième cygne, 801X. Problème technique ? Perte de l’émetteur dans une zone hors réseau GSM ? Cygne prédaté par un Pygargue à queue blanche ? Les différentes hypothèses sont envisageables.

In flight (photo Didier Vangeluwe)
En vol vers le sud ! (photo Didier Vangeluwe).

Les cinq cygnes migrent séparément, alors qu’ils ont pourtant été marqués dans la même région. Ils partent tous vers le sud, survolent la taïga. Mais arrivés dans les régions d’Omsk et Novossibirsk, les cygnes 820X, 832X et 865X obliquent vers l’est.

Entre le 30/09/2015 et le 05/10/2015, chacun de ces trois cygnes s’arrête sur le lac Ubinskoye situé à 200 km de la ville de Novossibirsk et à 1650km de l’embouchure de la Youribey. Après quelques heures ou quelques jours de halte, les trois repartent vers l’est sud-est, ils traversent la Khakassie, survolent les monts Altaï. Le 865X est le premier à franchir la frontière entre la Russie et la Mongolie. Mais il se pose rapidement sur le lac Uvs nur où il fait halte 2 jours. Il repart alors vers le nord, repasse la frontière russe et atteint un lac d’altitude (1200m) non loin de la ville de Kak. Il y restera 12 jours. Le 28/10/2015, au petit matin, il reprend les airs et parcourt 3150 km en trois jours pour atteindre les faubourgs de Shanghai, en Chine ! INCROYABLE ! Après quelques hésitations, il se pose le 01/11/2015 sur la lac Poyang, l’une des plus grande zones d’accueil pour les anatidés en Chine, avec une surface de 3500km² et plus de 500.000 oiseaux d’eau comptabilisés durant l’hiver. Parmi ceux-ci, plusieurs dizaines de milliers de Cygnes de Bewick. Jusqu’à présent, on pensait que ces oiseaux venaient de Sibérie orientale. Pas de Yamal qui se situe juste à la frontière avec l’Europe. Le cygne 865X aura parcouru près de 6500 km en 5 semaines. Le 26/11/2015, il est rejoint par les cygnes 820X et 832X. Triplement incroyable !

Bewick's Swan on Poyang Lake, 28/11/2014 (photo Didier Vangeluwe).
Cygnes de Bewick arrivant sur le lac Poyang, 28/11/2014 (photo Didier Vangeluwe).

Deux autres cygnes transmettent également très régulièrement leur position. Ils ont, eux, continué vers le sud leur survol de la taïga pour atteindre la steppe du Kazakhstan septentrional. Le 843X parcourt le trajet en 1 semaine. Il s’arrête le 18/09/2015 sur un petit lac et puis sur un autre où il stationnera jusqu’au 17/10/2015. Il reprend sa route mais le vol est de courte durée, puisqu’il s’arrête dès le lendemain sur un autre lac situé 270 km à l’ouest. A l’ouest ! Donc dans la direction opposée des trois partis en Chine ! Il est depuis lors silencieux. Le 854X suit la même route. Entre le 5 et le 21/10/2015, il fait halte sur le lac Akpas, à moins de 100 km du cygne 843X. Il quitte la zone en direction du sud-ouest jusqu’à atteindre la mer Caspienne. Après un arrêt de moins de 6h dans le Delta de la Volga, à Astrakhan, il se réoriente vers le nord-ouest, survole – mais sans s’arrêter- les marais de Kumo Manytch où toutes les Bernaches à cour roux que nous avions équipées d’émetteurs les étés passés dans la toundra de Sibérie avaient fait halte. Le 23/10/2015 à 11h00, il se pose sur le liman de Beisug, sur la côte orientale de la Mer d’Azov.

View on the liman Beisug and the movements of 854X during November (Google Earth).
Vue du liman Beisug et des mouvements de 854X durant le mois de novembre (Google Earth).

En moins de 48h, 854X a parcouru 2300 km. Que va-t-il faire ensuite ? Continuer sa route vers l’ouest et rallier le Delta de l’Evros et la Méditerranée ? Ou hiverner sur place. Les deux sites ne sont distants que de 1100 km.

Nous sommes donc dans une situation triplement inédite !

854X va probablement nous permettre de découvrir cette nouvelle voie de migration qui connecte la toundra de Sibérie au Delta de l’Evros.

820X, 832X et 865X sont en Chine, dans le bassin du fleuve Yangtsé. Probablement personne n’imaginait cette connexion avec la toundra de Yamal, aux portes de l’Europe.

Des Cygnes de Bewicks bagués parmi la même bande, au même endroit, à la même heure, hivernent dans des zones humides distantes de 7100 km.

L’application géographique qui permet de visualiser le trajet des Cygnes de Bewick équipés d’un émetteur GPS/GSM dans la péninsule de Yamal est réalisée par Philippe Vandevondele et Yves Tassin de la société Intergraph Belgium (Hexagon Safety & Infrastructure).

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23 Cygnes de Bewick bagués dans la toundra de Yamal !

Les observations effectuées en hydravion dès notre arrivée dans le delta de la Youribey ont permis de constater la présence d’une centaine de Cygnes de Bewick en mue flightless.

Aerial view of the Yuribey Delta (photo Didier Vangeluwe)
Vue aérienne du delta de la Youribey, 10/08/2015 (photo Didier Vangeluwe).
A flock of 14 Bewick's Swans in flightless moult in Yuribey Delta (photo Didier Vangeluwe)
Un groupe de 14 Cygnes de Bewick en mue flightless dans le delta de la Youribey, 15/08/2015 (photo Didier Vangeluwe).

Cette période est cruciale pour les cygnes comme pour toutes les espèces d’oiseaux d’eau. Toutes les espèces doivent renouveler leur plumage chaque année. Les plumes se dégradent en effet rapidement sous l’effet de la lumière du soleil (UV) et d’une usure mécanique. Remplacer son plumage régulièrement est donc une question de survie. Mais le processus est très particulier chez les différentes espèces de cygnes, oies et canards qui muent toutes les plumes des ailes en même temps. Ces oiseaux ne savent donc plus voler durant plusieurs semaines, ce qui explique que l’on parle dans ce cas de mue «flightless ». Durant cette période, il est relativement facile d’attraper les cygnes afin de les baguer. Et c’est ce que nous avons fait.

Au total, nous avons capturé et bagué dans le delta de la Youribey, 23 Cygnes de Bewick et un Cygne chanteur. Cette dernière espèce niche essentiellement dans la taïga et, dans l’état actuel des connaissances, est rarement observée dans la toundra. Parmi les Cygnes de Bewick, 10 individus étaient adultes (5 femelles + 5 mâles), ce qui signifie qu’ils étaient nés au minimum au printemps 2013. Les 13 autres individus bagués (6 femelles + 7 mâles) étaient immatures, donc nés avec certitude au printemps 2014. Chaque cygne a été équipé d’une bague du Centre de Baguage de Russie et marqué d’un collier blanc sur lequel est gravé un code unique à 4 caractères. Ce collier permet l’identification individuelle à distance.

Five Bewick's Swans just prior to release in the Yuribey Delta (photo Didier Vangeluwe)

Six Cygnes de Bewicks juste avant d’être relâchés dans le delta de la Youribey, 14/07/2015 (photo Didier Vangeluwe).

Six cygnes ont également été équipés d’un émetteur GPS/GSM permettant de suivre leur route migratoire avec précision. Les émetteurs utilisés pèsent 22 g et sont fixés au collier. Ils sont produits par la société polonaise ECOTONE-TELEMETRY et enregistrent la position GPS à intervalles réguliers. L’intervalle peut être réglé à distance; les positions sont transmises via le réseau GSM. Il est donc possible, presque en temps réel, de suivre l’itinéraire des cygnes, de localiser leurs sites d’escale, d’étudier leur stratégie de migration, de connecter les zones de nidification avec les zones d’hivernage et bien plus encore !

Bewick's Swan id 843X with the satellite transmitter attached to the collar (photo Didier Vangeluwe)
Le Cygne de Bewick id 843X avec l’émetteur GPS/GSM intégré au collier, 13/08/2015 (photo Didier Vangeluwe).

Voici la carte d’identité de chaque Cygne de Bewick équipé d’un émetteur GPS/GSM:

Id Maturité Sexe Date Poids
801X adulte mâle 12/08/2015 6,4 kg
820X adulte mâle 12/08/2015 6,9 kg
832X adulte femelle 12/08/2015 5,9 kg
843X immature mâle 13/08/2015 6,8 kg
854X immature mâle 14/08/2015 6,5 kg
865X immature femelle 14/08/2015 5,5 kg

Merci à tous les collaborateurs d’ECOTONE-TELEMETRY pour le développement continu des émetteurs GPS/GSM.

Une expédition vers la toundra de Yamal , Russie

La toundra de Yamal se trouve juste à l’est de la zone où nichent la plupart des Cygnes de Bewick hivernant dans la région de la Mer du Nord.

The Yamal peninsula
La péninsule de Yamal.

Lors de la prospection de la zone réalisée en juillet 2014 afin d’étudier l’écologie de la reproduction et de la migration de la Bernache à cou roux et du Faucon pèlerin, nous avions remarqué de nombreux Cygnes de Bewick migrant vers le nord, très probablement pour rejoindre des sites de mue. Dans l’intervalle, des observations réalisées depuis un hydravion dans la région de la baie de Baydaratskaya, sur la côte occidentale de la péninsule de Yamal, ont permis de repérer plusieurs bandes de cygnes non-nicheurs ainsi de nombreux couples reproducteurs. La péninsule de Yamal semble donc être une région adéquate pour organiser une expédition visant à baguer des Cygnes de Bewick. Par ailleurs, il s’avère que le gouvernement de la Région Autonome Yamal Nenets est soucieux de promouvoir la science et la conservation du patrimoine naturel.

Aussitôt dit, aussitôt fait, en route vers la baie de Baydaratskaya et en particulier l’estuaire de la rivière Youribey ! La mission dans la toundra a été menée du 07/08/2015 au 25/08/2015. Elle s’est déroulée sur deux niveaux : depuis les airs grâce à un hydravion mono-moteur et depuis le sol, ou plutôt l’eau, avec un bateau hors-bord. Trois ornithologues provenant de Russie, de Grèce et de Belgique ont participé à la mission, accompagnés d’un naturaliste pilote d’hydravion.

Surveys for Bewick's Swan were made from a seaplane... (photo Didier Vangeluwe)
L’observation des Cygnes de Bewick a été réalisée en hydravion … (photo Didier Vangeluwe).
... and from the ground (photo Didier Vangeluwe)
… et en bateau (photo Didier Vangeluwe).

Le camp a été établi à 25 km en amont de l’ estuaire de la Yuribey , précisément à 68.54.15 N – 69.27.57 E. Le site est une base logistique, composé d’un dizaine de cabanes en bois et permet de proposer à la vente des biens essentiels aux Nenets, des éleveurs nomades de rennes.

Reindeer crossing the base camp
Un troupeau de rennes traverse le camp de base, 12/08/2015 (photo Didier Vangeluwe).

Un grand total de 1925 km ont été parcourus en hydravion afin d’étudier la distribution des Cygnes de Bewick. Au total, 1059 cygnes ont été comptés y compris 64 couples nicheurs. Aucun grand groupe de cygnes en mue n’a été détecté, le maximum étant de 150 individus. Mais l’observation des Cygnes de Bewick n’était pas notre seul objectif ! Nous avons également très intensivement recherché les Oies naines Anser erythropus. Cette espèce connaît un dramatique recul au cours de ces dernières années et est donc réellement menacée d’extinction. L’Oie naine a un plumage très semblable à celui de l’Oie rieuse Anser albifrons qui est par contre très abondante. Toutes deux nichent dans la toundra, l’Oie naine montrant cependant une prédilection pour les zones de toundra boisée. Autrefois abondante jusque dans le nord de la Scandinavie, la population ne compte actuellement plus dans cette région qu’aux alentours de 150 individus. Ces dernières Oies naines scandinaves sont particulièrement bien étudiées et il s’avère qu’elles hivernent en majorité dans … le delta de l’Evros.

Incroyable delta de l’Evros !

Scandinavian Lesser white-fronted Geese photographed in the Evros Delta on 05/01/2007 (photo Didier Vangeluwe)
Les dernières Oies naines de Scandinavie hivernent dans le delta de l’Evros, 05/01/2007 (photo Didier Vangeluwe).

L’expédition réalisée dans la péninsule de Yamal a bénéficié de l’appui du Gouvernement de la Région Autonome Yamal Nenets et de l’Accord sur la Conservation des Oiseaux d’Eau migrateurs d’Afrique-Eurasie (AEWA) – PNUE.

yamal logologo AEWA

D’où viennent donc les Cygnes de Bewick qui hivernent en Grèce ?

L’apparition soudaine de Cygnes de Bewick dans le delta de l’Evros est déroutante. C’est un événement assez rare de voir une espèce coloniser un nouveau site si rapidement et en si grand nombre. Comme nous sommes curieux et qu’il s’agit de s’assurer que leur avenir dans la région – et au-delà – sera préservé, le phénomène amène quelques questions essentielles :

D’où viennent-ils, en d’autres termes où se situent leurs sites de nidification ? Quel(s) facteur(s) ont permis leur arrivée à la delta de l’Evros ? Ont-ils été contraint de quitter une autre zone ? Quelle(s) route(s) ont-ils suivi pour atteindre la Grèce ? Quelle(s) caractéristique(s) du delta de l’Evros ont rendu possible l’arrivée de milliers de Cygnes de Bewick en Grèce afin de passer l’hiver en toute sécurité? Ces caractéristiques sont-elles suffisamment intégrées dans le plan de gestion du Parc National de delta de l’Evros? Il est important qu’ils continuent de bénéficier de conditions idéales dans les années qui viennent. Commençons par le début … La route de migration. Que savons-nous déjà ? Nous disposons de deux sources d’information: l’observation de la migration des Cygnes de Bewick et les résultats du baguage. Concernant les observations, le nombre maximum de Cygne de Bewick détectés en Roumanie est une centaine, idem pour la Bulgarie tandis qu’il tourne autour des 300 pour l’Ukraine. Il semble fort improbable que des milliers de cygnes aient échappés à l’attention des ornithologues locaux. Mais ce n’est pas impossible, car il est connu que les Cygnes de Bewick sont capables de voler jusqu’à 2000 km non-stop.

L’examen du fichier des reprises du Centre de Baguage de Russie apporte plus d’informations.

logo BRC Russie

Mapping of the Bewick's Swan recoveries held in the database of the Bird Ringing Centre of Russia
Cartographie des sites de reprise de Cygnes de Bewick bagués dans les zones de nidification de Sibérie occidentale; toutes les données concernent des cygnes trouvés mort. Données Centre de Baguage de Russie.

Les données, qui concernent ici uniquement des cygnes trouvés mort, montrent une importante voie de migration en provenance de la zone de nidification située dans la toundra de Sibérie occidentale, vers les sites d’hivernage traditionnels situés principalement sur ​​la zone sud de la mer du Nord. Mais le fichier contient également quelques reprises indiquant un mouvement vers le sud sud-est avec une reprise dans la région de Perm, à l’ouest de l’Oural, une autre le long de la Volga entre Volgograd et Astrakhan et une troisième dans le Kraï de Stavropol à équidistance entre la mer Caspienne et mer Noire. Cette dernière localité est située à 1400 km à l’est du delta de l’Evros.

Par ailleurs, trois relectures de Cygnes de Bewick ont ​​été faites au cours des prospections menées dans le delta de l’Evros. Il s’agit de cygnes qui ont été équipés d’un collier en plastique de couleur, gravé d’un code unique permettant l’identification individuelle à distance. La première observation date du 04/02/1997 et concerne donc l’un des premiers Cygnes de Bewick observés dans le delta de l’Evros. Il s’avère qu’il a été bagué le 15/08/1992, à 3558 km de distance dans le delta du Petchora (voir blog du 23/11/2015). Un deuxième Cygne de Bewick marqué d’un collier a été observé sur la lagune de Paloukia le 12/6/1998. Il a été bagué par les ornithologues néerlandais le 27/11/1994 dans le polder du Flevoland, dans le centre des Pays-Bas. La distance entre les deux sites est 2004 km. Le dernier cygne avec collier observé dans le delta de l’Evros a également été marqué aux Pays-Bas, à Wieringermeer, le 16/12/2006. Il a été vu en Grèce le 18/02/2010.

Evros Delta, Dimitriades area, 18/02/2010, in the centre of the picture, going to the left, the Bewick's Swan marked with a neck collar on 16/12/2006 in Wieringermeer (photo Didier Vangeluwe)

Evros Delta, Dimitriades, 18/02/2010, au centre de la photo, se dirigeant vers la gauche, on distingue le Cygne de Bewick qui a été marqu » d’un collier le 16/12/2006 à Wieringermeer (photo Didier Vangeluwe).

Mais, et c’est particulièrement intéressant, il a également été observé, plus tôt au cours du même hiver et cette fois sur les rives lettonnes de la mer Baltique, par le célèbre spécialiste des cygnes en Lettonie Dmitrijs Boiko. Ce Cygne de Bewick a donc rejoint la Grèce via l’Europe de l’Est. Tout aussi remarquable, ce même cygne a passé l’hiver précédent à Welney, Norfolk (Royaume-Uni). Il était de retour à Welney l’hiver suivant son observation dans le delta de l’Evros et l’hiver d’après, c’est aux Pays-Bas qu’il a été repéré ! Ceci témoigne du fait que certains Cygnes de Bewick sont capables de changer régulièrement de site d’hivernage.

Toutes ces données nous amènent à une conclusion: il faut en connaitre plus sur la route de migration qu’empruntent les Cygnes de Bewick qui hivernent en Grèce! Etant donné qu’il semble difficile de tenter de baguer des cygnes dans le delta de l’Evros sans perturbation majeure, prenons le problème par l’autre bout et organisons une expédition dans la toundra de Russie afin de les baguer durant l’été !

Merci à Emil Todorov (Societatea Ornitologica Romana) et Boris Nikolov (Bulgarian Ornithological Centre, Institute of Biodiversity and Ecosystem Research) pour avoir fourni des informations sur la présence de Cygnes de Bewick respectivement en Roumanie et en Bulgarie. Le Centre de Baguage de Russie fait partie de l’Institut Severtsov d’Ecologie et d’Evolution. Les relectures de colliers de couleur placés sur des Cygnes de Bewick sont gérés par la plate-forme d’observation www.geese.org.

 

Le Cygne de Bewick du delta de l’Evros

Lagune de Paloukia, 04/02/1997 10 heures 45, 25 Cygnes de Bewick, y compris une nichée de 4 juvéniles se reposent sur ​​la glace. Ils ont été découverts au cours d’une mission visant à rechercher des Courlis à bec grêle Numenius tenuirostris une espèce d’échassiers parmi les plus menacées. Incroyable, un des adultes est marqué avec un collier bleu gravé d’un code de 4 chiffres. Ce qui permet de déterminer qu’il a été bagué le 15/08/1992, par une équipe d’ornithologues russes et néerlandais, dans la région de nidification du delta de la Petchora.

George Handrinos et Filios Akriotis rapportent dans leur livre « Les Oiseaux de Grèce » (Ch . Helm, 1997) seulement huit précédentes observations de Cygne de Bewick dans le pays. La première donnée date de 1934 à Kavala, les suivantes proviennent du delta de l’Evros (3 données), de Kerkini (3 données) et du lac de Kastoria (1 donnée). Le grand total des individus est de 21, avec un groupe maximum de six.

Depuis l’hiver 1999-2000 au moins, le Cygne de Bewick est un visiteur hivernal annuel dans le delta de l’Evros. L’augmentation est régulière, près de 500 individus sont comptabilisés au cours de l’hiver 2005-2006, 800 en 2008-2009. Les chiffres explosent au cours de l’hiver suivant avec 2250 Cygnes de Bewick comptés simultanément. Pendant les hivers 2013-14 et 2014-2015, le groupe est estimé à 4500 cygnes. Un spectacle époustouflant ! Par ailleurs, plusieurs milliers de Cygnes tuberculés originaires d’Ukraine et de Russie méridionale ainsi que des Cygnes chanteurs d’origine inconnue, hivernent dans le delta de l’Evros. Un dénombrement réalisé le 28/01/2015 sur les lagunes du delta de l’Evros permet d’observer au moins 10.800 cygnes appartenant aux 3 espèces ! Probablement un record européen.

L’hivernage des Cygnes de Bewick dans le delta de l’Evros est étroitement étudié et un ornithologue russe travaillant sur les rives de l’océan Arctique est venu dans le delta afin suivre les cygnes jusqu’à la Méditerranée. Le delta de l’Evros est un lieu unique en Méditerranée avec une biodiversité très diversifiée. C’est un Parc national qui vaut le détour, sans aucun doute ! Une équipe d’environnementalistes, d’ornithologues et de gardes est dédiée à la surveillance du site afin d’en assurer la préservation.

Vous êtes à la recherche d’une prochaine destination nature ? Allez-y!

A flock of Bewick's Swan on 22/02/2008 in the Evros Delta.
Groupe de Cygnes de Bewick dans la delta de l’Evros 22/02/2008 (photo Didier Vangeluwe).